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BREVET : APPRÉCIATION PAR LA COUR D’APPEL DE PARIS DE LA PRATIQUE DE GÉNÉRALISATION INTERMÉDIAIRE
Veille juridique
5 novembre 2025
Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 2, 13 juin 2025, n° 23/02588
IMPACT : Par cet arrêt, la Cour d’appel de Paris se prononce sur la pratique de la généralisation intermédiaire qui consiste à extraire une caractéristique spécifique en l’isolant d’une combinaison de caractéristiques divulguées initialement, en l’encadrant strictement.
Elle vient également sanctionner pour dénigrement la publication par le titulaire du brevet d’une annonce mentionnant sur son site internet l’introduction d’une action en contrefaçon, alors même qu’elle ne repose sur aucune base factuelle suffisante.
- Les faits
La société de droit américain Intellectual Ventures LLC (IV), spécialisée dans la création, le développement, l’acquisition et l’exploitation d’inventions, est titulaire d’un brevet européen intitulé « Organisation d’un chiffrement de données dans un système de communications sans fil », désignant la France.
Estimant que le service « Auto Connect WiFi » de la société SFR, permettant à ses abonnés de basculer automatiquement du réseau mobile vers le réseau SFR WiFi Mobile grâce à la technologie EAP-SIM, mettait en œuvre plusieurs revendications du brevet, la société IV a obtenu, en octobre 2016, une ordonnance de saisie-contrefaçon
Après l’exécution de cette saisie dans les locaux de la société SFR, la société IV l’a assignée en novembre 2016 en contrefaçon devant le tribunal judiciaire de Paris.
Le 3 février 2017, un constat d’huissier a constaté que la société IV avait publié sur son site internet dans la rubrique « news » l’introduction de cette action en contrefaçon. La société SFR a alors formé une demande reconventionnelle en dénigrement.
Le tribunal a, par jugement du 25 octobre 2022, annulé les revendications litigieuses pour extension de l’objet du brevet, rejeté l’action en contrefaçon, et condamné la société IV pour dénigrement. La cour d’appel est venue confirmer l’intégralité du jugement.
- La nullité du brevet pour « généralisation intermédiaire »
La Cour a d’abord rappelé qu’en vertu de l’article L. 614-12 du code de la propriété intellectuelle, un brevet européen désignant la France peut être annulé par jugement sur l’un des fondements de l’article 138§1 de la CBE, et notamment lorsque l’objet du brevet délivré s’étend au-delà du contenu de la demande initiale telle que déposée.
Pour déterminer si la demande de protection s’étend au-delà du contenu de la demande, la Cour se réfère à la pratique de la « généralisation intermédiaire » qu’elle définit comme « l’extraction d’une caractéristique isolée de son contexte spécifique », c’est-à-dire isolée d’un mode de réalisation particulier et non étroitement liées aux autres caractéristiques de ce mode de réalisation.
Une telle généralisation n’est justifiée qu’ « en l’absence de toute relation fonctionnelle ou structurelle clairement reconnaissable entre les caractéristiques de la combinaison spécifique » ou « si la caractéristique extraite n’est pas inextricablement liée » à ces caractéristiques.
Plus précisément, la généralisation intermédiaire n’est admissible que « si la personne du métier reconnaît sans aucun doute, d’après la demande telle qu’elle a été déposée, que les caractéristiques tirées d’un mode de réalisation détaillé ne sont pas étroitement liées aux autres caractéristiques de ce mode de réalisation et qu’elles s’appliquent directement et sans ambiguïté au contexte plus général ».
En l’espèce, la société IV avait isolé la caractéristique selon laquelle le chiffrement s’effectuait dans la couche MAC d’un réseau local sans fil, tout en supprimant la référence initiale au protocole WEP, alors que pour la personne du métier, ces caractéristiques sont étroitement et fonctionnellement liées. La Cour en déduit que leur dissociation a donc conduit à revendiquer un objet qui s’étendait au-delà du contenu initial de la demande, et a confirmé la nullité des revendications 1, 11 et 14 de la partie française du brevet.
- La divulgation publique de l’action en contrefaçon constitutive de dénigrement
Sur le fondement de l’article 1240 du code civil, la Cour rappelle que le dénigrement peut être caractérisé « même en l’absence de concurrence directe et effective », dès lors qu’une « information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé » ou un opérateur est diffusée sans base factuelle suffisante.
En l’espèce, la société IV avait publié, sur son propre site internet, un encart annonçant, le jour même de la signification de l’assignation, l’introduction d’une action en contrefaçon contre la société SFR devant le tribunal, en ces termes, ici traduits en français : « Aujourd’hui, la société Intellectual Ventures a engagé une action en contrefaçon contre la société SFR devant le tribunal. »[1].
La Cour souligne que cette publication :
- était accessible au public français, y compris à la clientèle de la société SFR ;
- divulguait l’existence d’une action en contrefaçon ;
- était dépourvue de base factuelle suffisante dès lors qu’elle reposait uniquement sur l’assignation ;
- ne se rapportait pas à un sujet d’intérêt général.
Par conséquent, la Cour estime que la publication incriminée constitue un acte de dénigrement portant atteinte à l’image de la société SFR et confirme la condamnation de la société IV à lui verser la somme de 50.000 euros à titre de dommages-intérêts, telle que fixée en première instance, sans qu’il soit apporté de précision supplémentaire sur la méthode d’évaluation du préjudice.
[1] Dans sa version originale en anglais : « Today Intellectual Ventures filed a patent infringement complaint against Société Française du Radiotéléphone – SFR before the District Court. »