CLAUSES ABUSIVES – Précisions sur la notion de consommateur au sens de la directive 93/13, dans le cadre d’un contrat de crédit à double finalité professionnelle et extra-professionnelle

Type

Veille juridique

Date de publication

26 juillet 2023

Dans un arrêt du 8 juin 2023 (C‑570/21), la CJUE confirme qu’une personne ayant conclu un contrat de crédit pour une double finalité professionnelle et extra-professionnelle, conjointement avec son épouse, peut être considérée comme un consommateur au sens de la directive 93/13 lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contrat ; ceci étant déterminé par des critères quantitatifs et qualitatifs.

En l’espèce, un contrat de crédit mixte a été conclu entre un couple marié et une banque, le montant devant servir, d’une part, au remboursement de dettes de la société gérée par le mari, et, d’autre part, au remboursement de dettes ménagères et au financement de travaux sur le logement du couple. La conclusion de ce crédit était subordonnée au remboursement des dettes professionnelles. Les requérants contestaient une des clauses du contrat de crédit, relative à la valorisation du montant des mensualités de remboursement du crédit, au motif que celle-ci, n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, était abusive au titre de la directive 93/13 sur les clauses abusives dans les contrats entre professionnels et consommateurs.

La juridiction de renvoi s’interroge ainsi sur la question de savoir si dans ce contexte, le requérant pouvait être considéré comme un « consommateur » au sens de la directive, alors qu’un lien existe entre l’activité professionnelle et le contrat, sans être prédominant, et alors que, sans un usage professionnel du crédit, il n’aurait pas été possible d’accorder le crédit pour une finalité non professionnelle. En d’autres termes, quels sont les critères pertinents pour déterminer si une personne relève de la notion de consommateur ?

Sur la première question préjudicielle, la CJUE conclut que l’article 2, sous b), de la directive 93/13 définissant le « consommateur » doit être interprété comme incluant « une personne ayant conclu un contrat de crédit destiné à un usage en partie lié à son activité professionnelle et en partie étranger à cette activité, conjointement avec un autre emprunteur n’ayant pas agi dans le cadre de son activité professionnelle, lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global de ce contrat. »

En effet, la Cour rappelle le principe selon lequel l’interprétation d’une disposition de droit de l’Union doit être faite en prenant en compte les termes de son énoncé, ainsi que son contexte et les objectifs poursuivis par la règlementation dont elle fait partie. De ce fait, en reprenant les termes de l’article 2, sous b), de la directive 93/13, la Cour établit d’abord que la qualité de consommateur doit être déterminée au regard d’un critère fonctionnel, c’est-à-dire en appréciant si le rapport contractuel concerné s’inscrit ou non dans le cadre d’activités étrangères à l’exercice d’une profession. Ensuite, la Cour apprécie le contexte et les objectifs de la disposition : celle-ci s’appliquant à tout contrat entre un professionnel et un consommateur n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, la CJUE conclut que c’est en fait la qualité des contractants qu’il faut apprécier, et non pas s’ils agissent ou non dans le cadre de leur activité professionnelle. Et ce, d’autant plus que la directive vise à contrebalancer la situation d’infériorité dans laquelle se trouve le consommateur, nécessitant une conception large de la notion.  Puis, dans une logique de cohérence du droit de l’Union, elle considère l’interprétation de la notion contenue dans d’autres règlementations, relevant que les définitions sont « largement équivalentes », et que leurs considérants peuvent donc aider à expliciter la volonté du législateur. Notamment, le considérant 17 de la directive 2011/83, dont il ressort que « lorsque le contrat est conclu à des fins qui n’entrent qu’en partie dans le cadre de l’activité professionnelle de l’intéressé et lorsque la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global du contrat, cette personne devrait également être considérée comme étant un consommateur ». La Cour ajoute que cette analyse est d’autant plus pertinente qu’elle est corroborée par le considérant 18 de la directive 2013/11 et le considérant 13 du règlement n°524/2013 (et ce, même si ces actes sont postérieurs aux faits du litige). Enfin, si dans le cadre de la convention de Bruxelles, l’arrêt Gruber apprécie la notion de consommateur selon « si l’usage professionnel est marginal au point d’avoir un rôle négligeable dans le contexte global de l’opération en cause », la cour rejette cette interprétation stricte et refuse de l’appliquer ici. Elle conclut donc que si la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante dans le contexte global de ce contrat, le requérant pourrait être un consommateur et ce malgré la double finalité du contrat de crédit.

Sur la seconde question préjudicielle, la CJUE considère que pour déterminer si la finalité professionnelle est si limitée qu’elle n’est pas prédominante, « la juridiction de renvoi est tenue de prendre en considération toutes les circonstances pertinentes entourant ce contrat, tant quantitatives que qualitatives ». La cour recommande une approche globale, tenant compte de l’ensemble des éléments d’espèce (termes du contrat, nature du bien ou du service objet du contrat, finalité). Elle établit plusieurs critères, ni exhaustifs ni exclusifs : d’un côté, un critère quantitatif, celui de la répartition du capital emprunté entre l’activité professionnelle et extraprofessionnelle, et d’un autre côté, des critères non quantitatifs : le fait qu’un seul parmi les emprunteurs poursuit une finalité professionnelle, ou le fait que le prêteur ait subordonné le crédit à une affectation partielle du montant au remboursement de dettes professionnelles.

Par ailleurs, le requérant demandait de limiter dans le temps les effets de la présente décision, mais la CJUE refuse, rappelant que cela n’est possible qu’en cas de réunion de deux critères – la bonne foi des milieux intéressés et le risque de troubles graves – non caractérisés en l’espèce.

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