Collecte des données personnelles en matière policière et judiciaire : la CJUE confirme sa position tout en la nuançant

Type

Veille juridique

Date de publication

17 novembre 2020

Décision de la Cour de Justice de l’UE, 06 octobre 2020, AFF. JOINTES C-511/18, C-512/18 ET C-520/13

Cette décision, particulièrement technique, s’inscrit dans une lignée d’arrêts rendus par la Cour de Justice de l’Union (CJUE) depuis 2014. Elle vient en quelque sorte parachever le régime élaboré par la CJUE au sujet de la conservation de données de connexion dans le cadre d’enquêtes policières et judiciaires.

Dans l’arrêt Digital Rights Ireland de 2014, la CJUE considère que la conservation indifférenciée et généralisée des métadonnées de communication est incompatible avec le droit de l’Union, en particulier avec les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux sur le respect de la vie privée et la protection des données personnelles. Ces métadonnées ou « fadettes », selon le vocabulaire policier, correspondent aux données relatives à l’identité, la date, la localisation et l’heure des communications, mais pas à leur contenu. Depuis cet arrêt, la Cour du Luxembourg a rappelé sa position, ferme et contraignante, à plusieurs reprises, notamment dans la décision Tele2 Sverige en 2016. Plusieurs Etats membres ont ainsi modifié leur dispositif national pour se conformer aux exigences de l’UE et ont imposé des changements conséquents dans les méthodes d’enquête des services de police.

D’autres Etats, dont la France, la Belgique et le Royaume-Uni, ont décidé de préserver leur réglementation nationale, qui demande aux fournisseurs de services de communication de conserver des métadonnées de connexions Internet et de conversations téléphoniques. En France, l’article L. 34-1 (III) du Code des postes et des télécommunications autorise les opérateurs de communication à conserver ces données pendant un an, en cas de besoin de transmission aux autorités de policières et/ou judiciaires.

Dans ces trois pays, des associations de défense des droits et libertés sur Internet, comme l’association française La Quadrature du Net, sont à l’origine de contentieux devant les juridictions nationales, qui ont été transmis à la CJUE. C’est dans ce contexte que l’arrêt du 6 octobre a été rendu, traitant simultanément les trois affaires française, belge et britannique.

Tout d’abord, les juges du Luxembourg rejettent l’argument, avancé par plusieurs pays membres, selon lequel les réglementations nationales litigieuses ne pourraient être soumises au droit de l’Union car elles ont pour finalité la sauvegarde de la sécurité nationale, une compétence souveraine des Etats d’après l’article 4 du Traité de l’UE.

Puis, est de nouveau condamné le stockage généralisé et indifférencié des métadonnées de communications, mais pas de manière absolue. La Cour va minutieusement distinguer plusieurs cas de figure, en fonction de la nature des données collectées, le type et la finalité de la conservation, et permettre des dérogations à l’interdiction générale. Par exemple, si la conservation généralisée et indifférenciée de ces données est contraire au droit de l’Union quand l’objectif poursuivi est la lutte contre la criminalité, elle est autorisée dès lors que cette conservation vise à la sauvegarde de la sécurité nationale et qu’une menace grave s’avère réelle, actuelle ou prévisible. Aussi, la Cour autorise le stockage de ces données aux fins de lutte contre la criminalité et le maintien de la sécurité publique s’il s’agit d’un stockage ciblé. Dans tous les cas, la Cour requiert des dispositifs nationaux qu’ils prévoient des garanties procédurales pour éviter les abus.

Cette décision a suscité beaucoup de réactions et d’inquiétude chez les magistrats, policiers et services de renseignement, bien que l’interdiction de certaines pratiques ait été prévisible. Ils craignent que les enquêtes pénales soient mises à mal et entravées par ce système. A cet égard, il convient de relever que les juges européens se sont prononcés sur un dernier point de procédure pénale. Ils ont estimé que le juge national devrait à présent écarter les preuves obtenues de manière illégale selon le nouveau régime détaillé par l’arrêt. Les magistrats et policiers redoutent ainsi un grand nombre de recours dans le cadre d’affaires judiciaires en cours.

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