DROIT D’AUTEUR : L’INCOMPETENCE DU JUGE JUDICIAIRE AU PROFIT DU JUGE ADMINISTRATIF POUR ORDONNER DES TRAVAUX SUR UNE OEUVRE APPARTENANT AU DOMAINE PUBLIC

Type

Veille juridique

Date de publication

14 mai 2025

Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 1, 9 avril 2025, n°24/18170

IMPACT : Par cet arrêt, la cour d’appel de Paris entérine une jurisprudence rendue par le Tribunal des conflits, en retenant que lorsqu’une atteinte au droit d’auteur est invoquée en raison de modifications portant sur un ouvrage public, le juge judiciaire est compétent uniquement pour se prononcer sur l’existence d’une atteinte au droit moral et sur les préjudices éventuels.

En revanche, il doit se déclarer incompétent pour ordonner la réalisation de travaux sur l’ouvrage concerné, cette prérogative relevant exclusivement du juge administratif.

  • Les faits

Dans le cadre d’une convention conclue avec une municipalité, un artiste a réalisé une œuvre composée de trois colonnes de dix mètres de haut et un mètre de diamètre, intitulée « Les Piliers de la République ».

En juin 2023, les ayants droit de l’artiste ont découvert que l’œuvre avait été démontée en vue d’être restaurée et déplacée dans une commune limitrophe.

Après des sommations infructueuses, et l’inauguration de l’œuvre sur son nouvel emplacement, les ayants droit ont assigné la ville devant le tribunal judiciaire de Paris pour obtenir des dommages-intérêts et la réinstallation de l’œuvre sur son emplacement d’origine.

Le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Paris s’étant déclaré incompétent pour statuer sur la demande de réinstallation de l’œuvre au profit de la juridiction administrative, un appel a été interjeté.

  • Le droit d’auteur confronté au principe d’intangibilité des ouvrages publics

Les ayants droit soutiennent notamment en appel que :

(i) leurs demandes étaient fondées sur le droit moral de l’artiste relevant du seul juge judiciaire ;

(ii) le monument est une œuvre d’art protégée par le droit d’auteur et non simplement un ouvrage public ;

(iii) leur demande ne vise pas à modifier l’ouvrage public mais à rétablir l’état initial de l’œuvre.

La commune estime quant à elle que l’œuvre relève également de la domanialité publique puisqu’elle en est propriétaire. Elle invoque le principe d’intangibilité des ouvrages publics, qui interdit au juge judiciaire de prescrire toute mesure susceptible d’y porter atteinte.

  • La compétence de principe du juge judiciaire, en matière d’atteinte au droit moral face aux personnes publiques

En premier lieu, la cour, s’appuyant sur une jurisprudence du Tribunal des conflits[1], rappelle qu’en raison de la compétence exclusive du tribunal judiciaire en matière de propriété littéraire et artistique (art. L.331-1 CPI), le juge judiciaire connait des actions en responsabilité contractuelle ou extracontractuelle, dirigées contre une personne publique dès lors qu’est invoquée une atteinte à la propriété littéraire et artistique et notamment au droit moral d’une œuvre.

La cour en déduit que le juge judiciaire est bien compétent pour statuer sur l’existence de l’atteinte et du préjudice allégués.

En l’espèce, elle retient donc que le tribunal judiciaire devra statuer sur la demande des ayants droit d’octroi de dommages-intérêts pour atteinte au droit moral.

  • La compétence exclusive du juge administratif, en matière de demandes de modification d’un ouvrage public fondées sur le droit moral

Dans un second temps, la cour reprend la motivation d’un autre arrêt rendu par le Tribunal des conflits[2] qui disposait que le code de la propriété intellectuelle ne peut être interprété « comme donnant compétence au juge judiciaire d’ordonner des mesures de nature à porter atteinte, sous quelque forme que ce soit, à l’intégrité d’un ouvrage public ».

En l’espèce, « Les Piliers de la République » est un ouvrage public, de sorte que les ayants droit qui requièrent le déplacement de l’œuvre ainsi que des travaux doivent saisir le juge administratif à cet égard.

La cour estime que la limitation apportée à la compétence du juge judiciaire « implique, uniquement, [si le demandeur] entend obtenir, outre la réparation de son préjudice, des mesures de nature à porter atteinte à l’intégrité d’un ouvrage public, de saisir précisément sur ce point le juge administratif ».

La cour d’appel confirme donc l’ordonnance dans son intégralité.

Ainsi, les compétences se répartissent comme suit :

  • Le juge judiciaire statue sur l’existence de l’atteinte au droit moral et les préjudices allégués, et doit se déclarer incompétent pour ordonner la réalisation de travaux sur l’ouvrage public.
  • Si le juge administratif est directement saisi d’une demande de travaux sur un ouvrage public, fondée sur l’existence d’une atteinte au droit moral, il ne statuera qu’après décision du juge judiciaire compétent sur l’existence de l’atteinte et du préjudice allégués.

[1] T. confl., 7 juill. 2014, n°C3954

[2] T. confl., 5 sept. 2016, n°4069, M. [N]. N. c. Association philharmonique de Paris

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