Distribution – La CJUE reconnait la validité d’une clause attributive de juridiction accessible via un lien hypertexte

Type

Veille juridique

Date de publication

31 mars 2023

CJUE, 24 novembre 2022, C-358/21, Tilman SA c./ Unilever Supply Chain Company AG[1].

Dans son arrêt en date du 24 novembre 2022, la Cour de justice de l’Union Européenne (« CJUE ») a considéré qu’à la lumière de la Convention de Lugano II, une clause attributive de juridiction est valablement conclue si cette dernière est contenue dans des conditions générales accessibles par lien hypertexte présent dans un contrat, et dont l’accès en permet le téléchargement et l’impression avant la signature de ce dernier. Et ce, sans que la partie signataire ait été explicitement invitée à accepter les conditions générales en cochant une case sur le site internet en question.

En 2010, une société de droit belge (« Tilman ») et une société suisse (« Unilever ») ont conclu un contrat pour l’emballage et le conditionnement de boîtes de thé. En 2011, une modification du prix est intervenue par le biais de la signature d’un deuxième contrat électronique qui disposait qu’à défaut d’autres dispositions contractuelles, le contrat serait régi par les conditions générales d’achat de la société suisse. Ces dernières prévoyaient que chaque partie au contrat « se soumettr[ait] irrévocablement à la juridiction exclusive des tribunaux anglais pour le règlement de tout litige qui pourrait découler directement ou indirectement du contrat[2] ». Les conditions générales d’achat de la société suisse, contenant la clause, étaient accessibles et téléchargeables en cliquant sur un lien hypertexte présent dans le contrat.

La société de droit belge a introduit une action devant les juridictions belges en raison d’un impayé. En réponse, la société suisse a soulevé l’incompétence des juges belges au profit des juridictions anglaises comme le prévoyait la clause. Par un jugement en date du 12 août 2015, les juges belges de première instance se sont déclarés compétents pour connaitre de l’affaire tout en reconnaissant que le contrat entre les deux sociétés était régi par le droit anglais. Unilever a formé un appel incident en invoquant l’incompétence des juges belges à statuer. La Cour d’appel de Liège a fait droit à sa demande en reconnaissant la compétence des juridictions anglaises.

Tilman a alors formé un pourvoi en cassation invoquant une violation des dispositions de la Convention de Lugano. Il s’agissait alors de savoir si, à la lumière de l’article 23, paragraphe 1 sous a) et paragraphe 2 de la Convention de Lugano II, les conditions de preuve de la réalité du consentement de Tilman sur la clause attributive de juridiction étaient réunies en ce que cette clause, présente dans les conditions générales d’achat de la société suisse, était accessible uniquement en cliquant sur un lien hypertexte présent dans le contrat, sans que la société belge ait eu besoin de les accepter en cochant une case sur le site en question[3].

A titre de rappel, il est prévu à l’article 23 de la Convention de Lugano II[4] que : « 1. Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État lié par la présente Convention, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État lié par la présente Convention pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue : a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou, c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. 2. Toute transmission par voie électronique qui permet de consigner durablement la convention est considérée comme revêtant une forme écrite. »

Plusieurs remarques sur cet arrêt intéressant. En s’inspirant de sa jurisprudence rendue sur les dispositions similaires du règlement Bruxelles 1, la Cour rappelle que pour vérifier la validité d’une clause, le juge saisi a l’obligation d’examiner si la clause qui lui attribue compétence résulte d’un consentement, manifesté de manière claire et précise, entre les parties[5].

Dans un premier temps, la Cour rappelle à son point 47 qu’une clause est licite lorsque dans le texte du contrat signé par les parties, un renvoi exprès est effectué aux conditions générales comportant la clause[6]. A noter que cela n’était pas contesté en l’espèce, car le texte du contrat en cause, contenait un renvoi explicite aux conditions générales d’achat de la société suisse qui pouvaient être contrôlées par la société belge.

La complexité de l’affaire reposait sur le fait de savoir si ces conditions générales de vente contenant la clause avaient effectivement été communiquées à l’autre partie, en l’espèce, la société de droit belge. En effet, Tilman arguait qu’elle n’avait pas été invitée à cocher une case indiquant qu’elle avait accepté les conditions générales en question, de sorte qu’elle n’avait pas consenti à la clause.

Pour rappel, l’article 23 paragraphe 2 de la convention de Lugano a été rajouté pour tenir compte des développements relatifs aux nouvelles techniques de communication. En se référant à sa jurisprudence Majdoub[7], la Cour en a conclu que la validité d’une convention attributive de juridiction peut dépendre de la possibilité de la consigner durablement. En effet, il avait été considéré que le seul fait de pouvoir enregistrer la clause était suffisant pour établir le consentement, et sans qu’il soit nécessaire de cocher une case indiquant que la partie signataire accepte lesdites conditions.

C’est dans ce sens que s’est prononcé la Cour dans le litige opposant la société belge et la société suisse.

La CJUE a considéré que la transmission de la clause avait été effectuée, en ce sens que « la transmission des informations concernées avait été réalisée si ces informations étaient accessibles au moyen d’un écran, le renvoi, dans le contrat écrit, à des conditions générales par la mention du lien hypertexte d’un site Internet dont l’accès permettait, en principe, de prendre connaissance de ces conditions générales, pour peu que ce lien hypertexte fonctionne et puisse être actionné par une partie appliquant une diligence normale, équivaut a fortiori à une preuve de communication de ces informations.[8] »

La réalité du consentement concernant la clause attributive de juridiction qui n’était pas jointe au contrat principal était avérée. La Cour a également précisé que l’absence de case à cocher par la partie signataire à la fin des conditions générales ou l’absence d’ouverture automatique d’une page contenant ces informations lors de l’accès au site n’induisaient pas que la partie n’ait pas eu connaissance de la clause.

Partant, la Cour semble se reposer uniquement sur les éléments suivants pour apprécier l’existence du consentement : l’accès aux conditions générales avant la signature du contrat[9], l’acceptation de ces conditions par la signature du contrat, enfin, la possibilité de sauvegarder et d’imprimer les conditions générales à la clause attributive de juridiction avant la signature du contrat. A ce titre, la Cour retient que ces seules exigences suffisent pour satisfaire les conditions de forme requises par l’article 23 paragraphe 1) sous a) et paragraphe 2 de la Convention de Lugano II[10].


[1] Arrêt CJUE, 24 novembre 2022, Aff. C-358/21, disponible ici.

[2] Cf. pt. 16.

[3] Cf. pt 23.

[4] Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale disponible ici.

[5] Cf. pt. 38 se référant à l’arrêt du 14 décembre 1976, Estasis Saloti di Colzani, 24/76, EU:C:1976:177, pt 7.

[6] Cf. pt. 47.

[7] Arrêt du 21 mai 2015, El Majdoub, C-322-14 pt 33.

[8] Cf. pt. 51

[9] Cf. pt 52.

[10] Cf. pt 53.

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