La reconsidération du vigneron comme figure centrale de la vinification

Type

Veille juridique

Date de publication

16 mai 2024

Dans une importante décision du 23 novembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée en faveur d’une évolution de la notion « d’exploitation viticole » en envisageant un assouplissement de sa conception traditionnelle. Cette décision entraînera, à n’en pas douter, des conséquences certaines dans l’organisation du travail des vignerons et, au-delà, dans l’approche de certaines opérations de vinification.

Les études démontrent l’importance pour le consommateur de la mention du nom de l’exploitation viticole sur l’étiquette d’un vin, signe d’une qualité supérieure du produit.

L’article 54 du règlement délégué (UE) 2019/33 notamment relatif à l’étiquetage et à la présentation dans le secteur viticole, limite l’utilisation de la mention « domaine » aux vins bénéficiant d’une indication géographique ou appellation géographique protégée, élaborés exclusivement à partir de raisins provenant du vignoble de l’exploitation et dont la vinification a été entièrement réalisée au sein de l’exploitation.

Le 23 novembre 2023, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé sa vision de la notion « d’exploitation viticole » dans le cas où certaines étapes de la vinification se dérouleraient chez un autre viticulteur.

Les juges de la CJUE devaient ainsi donner leur position sur la situation d’une vigneronne qui faisait du vin à partir de raisins dont une partie provenait de vignes qu’elle louait à un autre viticulteur et que ce dernier exploitait selon ses directives, et dont une étape de la vinification – le pressurage – avait lieu chez cet autre viticulteur. La vigneronne se voyait refuser l’apposition des mentions « domaine viticole » et « mise en bouteille au domaine » sur ses étiquettes par l’administration allemande, ce qu’elle a contesté.

Tout d’abord, la Cour rappelle que la notion d’exploitation n’est pas limitée aux seules terres dont la vigneronne est propriétaire ou situées à proximité de celles-ci, mais peut s’étendre à des vignes louées et situées à plus de 70 kilomètres de l’exploitation de la vigneronne. Ensuite, elle rappelle que l’indication des mentions contestées visent à garantir que la récolte et la vinification ont lieu sous la direction effective, le contrôle étroit et permanent ainsi que la responsabilité exclusive de la vigneronne.

Qu’en est-il alors lorsque le pressurage est effectué dans un pressoir loué à un autre viticulteur ? Les juges estiment que le pressurage peut être considéré comme effectué dans l’exploitation viticole si le pressoir est mis à disposition exclusive de la vigneronne et que cette dernière supervise totalement l’opération ainsi délocalisée. Il en est de même si le pressurage est effectué par les salariés de l’autre viticulteur, dès lors que la vigneronne surveille et contrôle de manière étroite et permanente que l’opération s’effectue conformément à ses prescriptions, ce qui implique en cas de problèmes imprévus que les décisions urgentes soient prises par la vigneronne.

L’interprétation qui est faite ici des règles européennes de la notion d’exploitation permet de repenser le rôle du vigneron et, au-delà de toute approche purement matérialiste de la vinification, de replacer l’Homme au centre du système. Dès lors, cette vision de la notion d’exploitation consacrée par le juge européen, permet d’accéder à une vision plus réaliste et actuelle de la filière dans laquelle en pratique, et de plus en plus, les vignerons trouvent un avantage à séparer le lieu de la récolte et celui de la vinification ou à louer une partie des vignes ou des outils de vinification, et ce pour des raisons économiques le plus souvent. Cette décision, permet sans doute, de concevoir les prémisses d’une évolution certaine de la conception traditionnelle de l’exploitation viticole, une notion complexe et résolument évolutive.

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