L’application de la clause attributive de juridiction dans un litige en droit de la concurrence

Type

Droits des contrats - distribution - concurrence - consommation

Date de publication

28 novembre 2017

Par un arrêt du 11 octobre 2017 (n° 16-25.259), la Cour de cassation (1ère Chambre Civile) a saisi la Cour de Justice de L’Union Européenne d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de l’article 23 du règlement n° 44/2001 (Bruxelles I) concernant la portée d’une clause attributive de juridiction dans un litige en droit de la concurrence.

Un distributeur français (eBizcuss.com) de la société Irlandaise Apple Sales International, de la société américaine Apple Inc. et Apple retail France, a assigné ces trois sociétés en réparation de son préjudice devant le tribunal de commerce français sur le fondement des articles 1382 du Code civil (devenu 1240), L 420-2 du Code de commerce et 102 du TFUE, pour des faits de faits de concurrence déloyale, d’abus de position dominante et d’abus de dépendance économique.

Le contrat liant les parties comportait une clause attributive de juridiction désignant les juridictions irlandaises. La clause se référait de manière générale aux différends surgissant dans les rapports contractuels. La cour d’appel de Versailles (25 octobre 2015) a rejeté l’exception d’incompétence soulevée par les sociétés du groupe Apple aux motifs qu’une clause attributive de juridiction pouvait être prise en compte à la condition qu’elle se réfère aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence. Or, la clause litigieuse ne se référait pas à des litiges relatifs aux pratiques anticoncurrentielles.

Le pourvoi soutenait au contraire que la clause attributive de juridiction litigieuse se référant de manière générale aux différends surgissant dans les rapports contractuels, elle avait vocation à s’appliquer à tous les litiges qui trouvent leur origine dans la relation contractuelle, que la responsabilité encourue soit de nature contractuelle ou délictuelle. Il soutenait en outre que la formation et l’exécution du contrat peuvent donner naissance à des litiges de nature délictuelle, qui sont prévisibles pour les cocontractants et doivent bénéficier de la prorogation conventionnelle de compétence. Elle notait en outre qu’aucune infraction au droit de la concurrence n’avait été constatée par une autorité de concurrence, européenne ou nationale. Ainsi, selon les auteurs du pourvoi, la cour d’appel aurait dû donner effet à la clause d’élection de for stipulée dans les contrats liant la société Apple Sales International à la société eBizcuss.

Classiquement, la question de l’application d’une clause attributive de juridiction aux litiges opposant des cocontractants et dans lesquels sont invoquées des règles du droit de la concurrence dépendait du point de savoir si la responsabilité en la matière était délictuelle ou contractuelle.

Cependant, la jurisprudence récente semble attacher moins d’importance à la nature de la responsabilité qu’au libellé même de la clause. Ainsi, la Cour de cassation cite une jurisprudence récente de la CJUE retenant que, dans le cadre d’une demande en dommages et intérêts fondée sur le droit de la concurrence, le juge national doit prendre en compte les clauses attributives de juridiction contenues dans des contrats de livraison, même si une telle prise en compte a pour effet de déroger aux règles de compétence internationale en matière délictuelle, à la condition que ces clauses se réfèrent aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence (CJUE, 21 mai 2015, Cartel Damage Claims c. Akzo Nobel NV et a., aff. C-352/13).

Ainsi, le juge doit vérifier si la clause d’élection de for vise bien les litiges liés au droit de la concurrence, afin de respecter les prévisions des parties.

La clause litigieuse visait de manière générale et abstraite les différends surgissant dans les rapports contractuels sans viser directement les actions fondées sur le droit de la concurrence.

Au vu des divergences d’interprétation au sein de l’Union Européenne, la Cour de cassation a préféré surseoir à statuer jusqu’à ce que la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la question, ainsi libellée :

« 1. L’article 23 du règlement n° 44/2001 doit-il être interprété en ce sens qu’il permet au juge national saisi d’une action en dommages-intérêts intentée par un distributeur à l’encontre de son fournisseur sur le fondement de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de faire application d’une clause attributive de juridiction stipulée dans le contrat liant les parties ?

2. En cas de réponse affirmative à la première question, l’article 23 du règlement n° 44/2001 doit-il être interprété en ce sens qu’il permet au juge national, saisi d’une action en dommages-intérêts intentée par un distributeur à l’encontre de son fournisseur sur le fondement de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de faire application d’une clause attributive de juridiction contenue dans le contrat liant les parties, y compris dans le cas où ladite clause ne se référerait pas expressément aux différends relatifs à la responsabilité encourue du fait d’une infraction au droit de la concurrence ?

3. L’article 23 du règlement n° 44/2001 doit-il être interprété en ce sens qu’il permet au juge national, saisi d’une action en dommages-intérêts intentée par un distributeur à l’encontre de son fournisseur sur le fondement de l’article 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, d’écarter une clause attributive de juridiction stipulée dans le contrat liant les parties dans le cas où aucune infraction au droit de la concurrence n’a été constatée par une autorité nationale ou européenne ? »

La réponse à ces questions permettra aux rédacteurs des clauses d’élection de for, notamment de savoir si une clause rédigée en des termes suffisamment généraux suffit à englober les litiges fondés sur le droit de la concurrence ou s’il faut expressément viser ce type de litige dans la clause attributive de juridiction.

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