Le public visé constitue le lieu de rattachement de la « réutilisation » d’une base de données en ligne

Type

Propriété intellectuelle / Nouvelles technologies / Communication

Date de publication

11 décembre 2012

La Cour de Justice de l’Union Européenne, par un arrêt du 18 octobre 2012 (aff. C-173/11 Football Dataco c. Sportradar), est venue préciser les critères de localisation d’un acte de « réutilisation » d’une base de données sur internet au sens de la Directive 96/9/CE. Pour rappel, la localisation d’actes portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle permet de déterminer la juridiction compétente et la loi applicable au litige. Or, bien souvent, ces actes sont susceptibles d’être rattachés à plusieurs Etats, ce qui est d’autant plus vrai lorsqu’ils sont réalisés sur internet.

En l’espèce, une société de droit britannique (Football Dataco) soutient avoir créé une base de données sur les résultats et statistiques des championnats de football de la ligue anglaise et écossaise. Elle prétend qu’une société de droit allemand (Sportradar) aurait téléchargé sur ses serveurs ces données sans son autorisation afin de les mettre à la disposition de ses clients qui les diffusent à leur tour via leurs sites internet accessibles depuis la Grance-Bretagne. La société Football Dataco a ainsi engagé une action en Angleterre estimant que la société Sportradar aurait violé son droit sui generis sur la base de données constituée par elle. Toutefois, la société défenderesse a contesté la compétence de la juridiction saisie arguant que les actes en cause ne peuvent être rattachés au territoire britannique dans la mesure où son serveur n’y est pas localisé. Une question préjudicielle a été adressée à la CJUE tendant à déterminer, d’une part, si la mise à disposition de telles données à un public établi dans un autre Etat que celui du lieu du serveur constitue un acte d’extraction ou de réutilisation d’une base de données, et d’autre part, sur lequel de ces territoires les actes en cause peuvent être rattachés.

Sur le premier point, la CJUE rappelle succinctement que la notion de réutilisation au sens de la Directive précitée doit être largement entendue. Ainsi « l’acte qui … consiste pour une personne à envoyer, au moyen de son serveur web, sur l’ordinateur d’une autre personne … des données préalablement extraites du contenu d’une base de données protégée par le droit sui generis » constitue une réutilisation de ces données en les mettant à la disposition du public (§21).

Sur le second point, la CJUE rappelle le principe de territorialité de la protection des droits de propriété intellectuelle. En effet, la protection réclamée dans un Etat ne vaut que si des actes litigieux peuvent être caractérisés sur ce territoire en l’absence d’harmonisation totale des législations des Etats membres. Les juges européens poursuivent en se référant à l’article 5§3 du Règlement 44/2001 qui permet au demandeur à une action en responsabilité délictuelle de porter l’affaire devant la juridiction du lieu du fait dommageable. La CJUE sous-entend alors que si les actes en cause pouvaient être rattachés au territoire britannique, alors les juridictions de ce territoire pourraient être compétentes pour connaître le litige. Enfin, la CJUE cite l’article 8 du Règlement 864/2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles qui pose le principe selon lequel la loi applicable aux actions relatives à un droit de propriété intellectuelle est celle « du pays pour lequel la protection est demandée ». D’où la nécessité de rattacher les actes en cause à un territoire donné.

La CJUE est d’avis que sur internet les actes peuvent être rattachés en autant de lieu qu’internet est accessible, soit partout dans le monde. Dès lors, il ne saurait être question que la seule accessibilité du site internet puisse permettre de rattacher les actes litigieux à ce territoire sans contrevenir au principe de territorialité des droits de propriété intellectuelle. Autrement dit, comme le souligne la CJUE, le seul fait que les sites internet en cause soient accessibles en Grande-Bretagne ne suffit pas à rattacher les actes litigieux à ce territoire. Ainsi, la CJUE considère que « la localisation d’un acte de réutilisation sur le territoire de l’Etat membre vers lequel les données concernées sont envoyées dépend de l’existence d’indices permettant de conclure que cet acte révèle l’intention de son auteur de cibler les personnes situées sur ce territoire » (§39).

De tels indices de rattachement, d’après la CJUE, peuvent en l’espèce être caractérisés par (i) la présence de données relatives aux championnats de football anglais (ii) la conclusion d’un contrat par la société défenderesse avec les sociétés de paris en ligne visant spécifiquement le public anglais (iii) la stipulation d’un prix variant en fonction des parts de marché et des perspectives de croissance de ces sociétés de paris sur ce territoire et (iv) la circonstance que ces sites internet soient accessibles en langue anglaise.

La CJUE consacre ainsi la thèse du lieu de public visé comme critère de rattachement territorial des actes de réutilisation d’une base de données sur internet. Autrement dit, les actes litigieux sont réputés être accomplis sur le lieu où se situe l’internaute. En revanche, la CJUE contredit expressément la thèse soutenue par la société défenderesse selon laquelle l’acte de réutilisation de la base de données est rattaché au territoire du lieu où se trouve le serveur. Dans une telle hypothèse, un tel critère permettrait à celui qui contrevient aux droits de propriété intellectuelle d’installer ses serveurs en dehors du territoire visé par ses activités pour échapper systématiquement à toute responsabilité.

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