Liberté de création artistique et vie privée

Type

Propriété intellectuelle / Nouvelles technologies / Communication

Date de publication

4 juin 2013

Dans une ordonnance de référé du 10 janvier 2013, le Président du Tribunal de grande instance de Paris a eu l’occasion de rappeler que si la liberté d’expression est un droit fondamental, il n’en est pas moins absolu et doit être concilié avec le droit au respect de la vie privée.

Un artiste espagnol avait pris des clichés de sa compagne française au cours de leurs deux années de vie commune. Ces photographies étaient destinées à servir de support pour la réalisation d’œuvres « photoréalistes », à savoir la reproduction de l’image ainsi capturée de la manière la plus détaillée possible et au moyen d’un simple stylo bille sur une surface de papier.

L’une des œuvres en question avait connu un tel succès dans le monde de l’art contemporain qu’elle avait valu à son auteur, et en présence de sa compagne, un prix décerné par le ministre de la Culture espagnol.

Le couple s’était séparé par la suite mais l’artiste avait continué d’exploiter ces tableaux, notamment par la diffusion sur 24 sites internet des œuvres mettant en scène son ex-compagne.

C’est dans ces circonstances que la jeune femme a saisi le Juge des référés afin de faire constater l’atteinte à sa vie privée ainsi qu’à son droit à l’image, et de faire ordonner au défendeur de s’abstenir à l’avenir de toute diffusion des œuvres en question.

De son côté, le défendeur soutenait que la demanderesse avait consenti à la fois à la prise des clichés photographiques, ainsi qu’à la création et à la diffusion des tableaux dans la sphère publique. En outre, il estimait qu’elle n’était en tout état de cause pas reconnaissable, et qu’en matière d’œuvres d’art, le consentement du sujet représenté n’était pas nécessaire dès lors que lesdites œuvres ne portaient pas atteinte à sa dignité.

Le problème qui se posait au Juge des référés était donc de déterminer si la jeune femme, en posant pour l’artiste et en étant présente lors de la cérémonie de remise du prix décernée à l’une des œuvres litigieuse, avait donné son consentement, et si en l’absence d’un tel consentement la liberté de création artistique permettait à l’artiste de diffuser ses œuvres.

Autrement dit, il s’agissait de savoir si liberté d’expression et de création artistique du défendeur prévalait sur le droit à l’image et à la vie privée de la demanderesse.

Le Président du Tribunal de grande instance de Paris, dans une ordonnance en date du 10 janvier 2013, se fonde sur l’article 9 du Code civil pour rappeler que « toute personne quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et dispose sur son image et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif qui lui permet de s’opposer à la publication de celle-ci sans son autorisation. »

Déduisant des faits qui lui étaient soumis que la demanderesse était identifiée ou identifiable dans les tableaux litigieux, le Juge des référés souligne qu’il n’existe aucun élément permettant d’établir son consentement à la diffusion de la reproduction des clichés photographiques litigieux, et que son accord pour la diffusion de l’œuvre primée par le ministre de la Culture espagnole « ne saurait être interprété comme une autorisation générale de reproduction et d’exposition publique de tous les clichés photographiques pris, même avec son consentement. »

En ce sens, le Juge des référés adopte une interprétation stricte du consentement de la demanderesse.

Enfin, le Juge des référés refuse au vu de l’espèce de faire prévaloir la liberté d’expression artistique sur le droit à l’image et à la vie privée, se conformant en cela à la jurisprudence de la Cour de cassation qui énonce que « les droits au respect de la vie privée et à la liberté d’expression, revêtant, eu égard aux articles 8 et 10 de la Conv. EDH et 9 du Code civil, une identique valeur normative, font ainsi devoir au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime » (Civ. 1, 9 juillet 2003, n° pourvoi 00-20.289).

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