L’obligation de sécurité du constructeur confrontée au « comportement humain aisément prévisible »

Type

Droit Pénal

Date de publication

16 mai 2018

Cass.crim., 27 février 2018, n° 16-87.147

La Cour de Cassation s’est prononcée dans un arrêt riche d’enseignements sur les obligations de sécurité du fabricant en matière de prévention des risques.

En l’espèce, une enfant alors âgée de trois ans et dont les parents tenaient une exploitation agricole a eu le bras happé dans le tambour d’un convoyeur destiné à alimenter les moutons et sectionné par celui-ci.

L’entreprise responsable de la conception et de la construction de la machine, ainsi que son gérant personne physique, étaient prévenus des chefs de blessures involontaires entraînant une incapacité supérieure à 3 mois.

En première instance, la société responsable et son gérant ont été respectivement condamnés à une peine d’amende de 20 000 euros et de 10 000 euros avec sursis ; décision confirmée en appel.

Un pourvoi en cassation était formé et les demandeurs invoquaient notamment :

  • l’absence de relation de travail entre les prévenus / ou l’utilisateur de la machine et la victime
  • l’inapplicabilité des règles techniques imposées par l’annexe I de l’art. R4312-1 du Code de Travail
  • le défaut d’organisation de l’exploitation agricole
  • la faute ayant consisté à laisser l’enfant s’approcher de la machine

La Cour de Cassation entérine la position des juges du fond et retient que la cause de l’accident est parfaitement établie.

En premier lieu, il est affirmé que le convoyeur mécanisé constitue bien un équipement de travail tel que défini par la Directive « machines » n° 98/37 CE du 22 juin 1998 (transposée dans l’Annexe I de l’article C. Trav., R4312-1). Ainsi l’équipement de travail en cause n’était pas conforme aux normes prescrites par cette réglementation.

Les juges retiennent l’existence d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Celle-ci se caractérise par l’absence de protection des pièces mobiles du convoyeur, jugées par essence dangereuses, précisant : « qu’il n’est pas plus discuté que cet espace est lié à la conception de la machine puisqu’il se crée et s’agrandit au fur et à mesure que le tapis doit être retendu en reculant le tambour… qu’il est donc inévitable que cet espace s’agrandisse au fil de son utilisation »

Il est important de souligner que, selon les juges, ce défaut de conception apparaît comme particulièrement grave pour justifier que soit retenue la qualification d’infraction manifestement délibérée, et non celle d’une simple faute caractérisée.

La société responsable a d’ailleurs corrigé ce défaut sur les modèles mis sur le marché postérieurement à l’accident. Les juges du fond avaient également relevé l’absence de notice d’utilisation. De surcroit, les magistrats soulignent qu’en sa qualité de concepteur et constructeur de matériel, la société ne pouvait qu’avoir connaissance des exigences de sécurité et avoir conscience des risques que générait l’absence de protection du convoyeur.

Enfin, l’intérêt premier de cet arrêt réside dans l’application inédite de cette notion de « comportement humain aisément prévisible » instaurée par la Directive européenne.
A ce titre, le concepteur aurait dû raisonnablement anticiper la possibilité d’une présence de tiers, y compris celle d’un enfant accompagnant ses parents. Dans le contexte d’une exploitation agricole, la présence à proximité des machines devait être considérée comme un comportement humain aisément prévisible.

La Cour écarte ainsi l’argument selon lequel l’accident aurait présenté un caractère imprévisible du fait de la présence d’un enfant à proximité de la machine et du défaut de surveillance de ses parents.

En outre, la relation causale entre la non-conformité de l’équipement et l’accident est aisément établie : l’accident ne se serait pas produit si l’espace dans lequel l’enfant a introduit son bras avait été protégé.
De fait, le constructeur ne pouvait opposer une quelconque faute de la victime, celle-ci ne pouvant être la cause exclusive de l’accident du fait de la non-conformité relevée.
Rappelons que la faute de la victime au soutien d’une relaxe pénale, souvent invoquée, reste très difficile à démontrer, a fortiori lorsqu’il s’agit d’un enfant âgé de 3 ans et donc dépourvu du discernement nécessaire.

Il s’agit d’une jurisprudence source d’enseignements pour les concepteurs et constructeurs. La Cour pose un haut degré d’exigence en matière de sécurité, laquelle implique une sévérité accrue des magistrats en cas de défaillance des constructeurs.

Cette décision donne un plein effet à l’obligation de sécurité dès la conception de l’équipement, et impose au fabricant d’anticiper tout risque d’accident résultant de situations anormales prévisibles ou d’un mauvais usage raisonnablement prévisible.

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