Marque déchue pour défaut d’usage : Action en contrefaçon admise pour le titulaire d’une marque déchue pour la période antérieure à la déchéance

Type

Veille juridique

Date de publication

9 avril 2020

CJUE, 26 mars 2020, aff. C-622/18, AR c/ Cooper International Spirits LLC

Dans un arrêt rendu à la suite d’une question préjudicielle introduite par la Cour de cassation, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur la réparation d’actes commis à l’encontre d’une marque déchue pour la période antérieure à sa déchéance, ce sous l’empire de l’ancienne Directive 2008/95/CE.

La société AR commercialise des alcools et des spiritueux. Dans le cadre de son activité, elle a procédé à l’enregistrement de la marque française semi-figurative SAINT GERMAIN le 12 mai 2006.

Elle a découvert par la suite que la société Cooper International Spirits distribue, sous la dénomination ST GERMAIN, une liqueur fabriquée par deux autres sociétés.

Une action en contrefaçon a alors été intentée le 8 juin 2012 par la société AR à l’encontre de ces trois sociétés devant le Tribunal de grande Instance de Paris.

En parallèle de cette action, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre a prononcé le 28 février 2013 la déchéance de la marque SAINT GERMAIN pour défaut d’usage à compter du 13 mai 2011 (jugement confirmé définitivement en appel le 11 février 2014).

Malgré l’annulation de sa marque, la société AR a maintenu son action en contrefaçon dans l’instance en cours devant le Tribunal de Grande Instance de Paris mais uniquement pour la période antérieure à la déchéance et non couverte par la prescription, soit entre le 8 juin 2009 et le 13 mai 2011.

Son action en contrefaçon a toutefois été rejetée en première instance et en appel en raison de l’absence de démonstration d’une exploitation réelle sur la période antérieure à la déchéance.

Un pourvoi a été formé devant la Cour de cassation en invoquant la violation des articles L. 713-3 et L. 713-5 du Code de la propriété intellectuelle, soulignant notamment qu’aucun texte n’exige qu’il soit rapporté une preuve d’exploitation « au cours du délai de cinq ans suivant l’enregistrement d’une marque (…) pour bénéficier de la protection du droit des marques  ».

La Haute Cour pose alors une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne afin de savoir si «  le titulaire, qui n’a jamais exploité sa marque et a été déchu de ses droits sur celle-ci à l’expiration de la période de cinq ans suivant la publication de son enregistrement, peut obtenir l’indemnisation d’un préjudice pour contrefaçon, en invoquant une atteinte portée à la fonction essentielle de sa marque, causée par l’usage par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance, d’un signe similaire à [cette] marque ».

Pour y répondre, la Cour de justice rappelle tout d’abord que la Directive 2008/95 a laissé libre chaque Etat membre de déterminer la date à laquelle la déchéance d’une marque produit ses effets et cite le Considérant 6 selon lequel « [les] États membres devraient conserver la faculté de déterminer les effets de la déchéance ou de la nullité des marques  ».

La Cour rappelle ensuite l’article 11 de la Directive selon lequel en cas de demande reconventionnelle en déchéance, un État membre peut prévoir dans sa législation qu’une marque ne peut être valablement invoquée dans une procédure en contrefaçon s’il est établi que le titulaire de la marque pourrait être déchu de ses droits.

Elle en déduit que la Directive 2008/95/CE laisse aux Etats membres la faculté de prévoir que le titulaire d’une marque déchue conserve le droit de réclamer l’indemnisation du préjudice subi en raison de l’usage, par un tiers, antérieurement à la date d’effet de la déchéance.

S’agissant plus particulièrement de la France, elle constate que celle-ci n’a pas fait le choix de faire usage de la faculté prévue à l’article 11 précité.

Elle en déduit donc que la législation française permet au titulaire d’une marque d’obtenir réparation pour les atteintes commises par un tiers avant la déchéance de ladite marque, en rappelant que les dommages doivent être adaptés au préjudice « réellement subi » par le titulaire.

La portée de cet arrêt doit cependant être relativisée en raison du fait qu’il a été rendu sous l’empire de l’ancienne Directive 2008/95/CE, remplacée depuis par la Directive (UE) 2015/2436 issue du Paquet Marques, ce d’autant plus que cette nouvelle Directive insiste dans ses Considérants 31 et suivants sur l’importance de l’exploitation d’une marque qui « ne devrait être protégée que dans la mesure où elle est effectivement utilisée » et qu’une marque antérieure « ne devrait pas permettre à son titulaire de s’opposer à une marque postérieure ou d’en demander la nullité s’il n’a pas fait un usage sérieux de sa propre marque. »

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