Possibilité de poursuivre la personne morale pour des faits de complicité de crime contre l’humanité

Type

Veille juridique

Date de publication

12 octobre 2021

La chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 7 septembre 2021 un arrêt dans une procédure en cours d’instruction à l’encontre d’une société française de matériaux de construction dans lequel la haute juridiction ouvre la possibilité de poursuivre une personne morale pour des faits de complicité de crime contre l’humanité (Cour de cassation, chambre criminelle, 7 septembre 2021, n°19-87.367).

Par cette décision, elle tranche pour la première fois la question de l’élément moral de la complicité de crime en ce qui concerne une personne morale.

Le groupe français Lafarge SA avait été mis en examen le 28 juin 2018 pour complicité de crimes contre l’humanité. Il lui était reproché d’avoir maintenu une activité de cimenterie en Syrie entre 2012 et 2015, par l’intermédiaire de la société Lafarge Ciment Syria qu’elle détient à 98%, alors qu’à la même période différents groupes armés dont l’Etat Islamique, occupaient le territoire. Lafarge Ciment Syria aurait également versé 15.562.261 $ à ces groupes.

La chambre de l’instruction avait annulé la mise en examen de la société Lafarge SA, considérant que le dol général, à savoir le versement de sommes d’argent à des groupes combattants en Syrie en connaissance des exactions commises par celui-ci, et le dol spécial, à savoir l’adhésion du complice au plan de l’auteur du crime, n’étaient pas caractérisés.

La Cour de cassation casse cette décision en se fondant sur les deux principes suivants :

  1. Elle rappelle d’abord qu’une personne peut être complice de crimes même si elle n’a l’intention de s’associer à la commission de ces crimes. En cela, elle est fidèle à sa jurisprudence puisqu’elle avait déjà considéré dans l’affaire Papon en 1997 qu’il n’était pas nécessaire que le complice ait appartenu ou adhéré à l’idéologie de l’organisation ayant commis les crimes contre l’humanité ;
  2. Elle affirme ensuite, pour la première fois, que le but économique de la personne moral n’empêche pas leur mise en cause pour complicité de crimes si la personne morale (c’est-à-dire son représentant légal) a connaissance de ce que les auteurs principaux commettent ou vont commettre un crime contre l’humanité et qu’elle a donc sciemment, par aide ou assistance, facilité la préparation ou la consommation.

En l’espèce, la chambre criminelle retient que le versement en connaissance de cause d’une somme de plusieurs millions de dollars à une organisation dont l’objet est exclusivement criminel suffit à caractériser la complicité par aide et assistance – peu importe que le complice agisse en vue de la poursuite d’une activité commerciale.

Ce faisant, la Cour de cassation adopte une définition large de la complicité et en fait application à l’infraction de crime contre l’humanité. Les crimes contre l’humanité sont considérés en droit français comme les crimes les plus graves. L’objectif poursuivi par la chambre criminelle est clair : ne pas « laisser de nombreux actes de complicités impunis, alors que c’est la multiplication de tels actes qui permet le crime contre l’humanité  ».

On peut ici louer l’objectif, quitte à ce que les catégories juridiques en souffrent.

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