Pour obtenir l’autorisation de pratiquer une saisie-contrefaçon, faut-il justifier de la vraisemblance de la contrefaçon devant le juge des requêtes ?

Type

Propriété intellectuelle / Nouvelles technologies / Communication

Date de publication

12 décembre 2018

CA Paris 11 septembre 2018 et TGI Paris 5 octobre 2018

Deux décisions récentes rendues en matière de saisie-contrefaçon de brevet ont récemment tranché la question.

En vertu de l’article L 615-5 du code de la propriété intellectuelle toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon est en droit de faire procéder en vertu d’une ordonnance rendue sur requête par la juridiction civile compétente, à une saisie contrefaçon. Cette mesure, obtenue de manière non contradictoire, est ainsi destinée à faire la preuve des actes reprochés de contrefaçon.

Il ressort de la lettre de l’article L 615.5 du CPI (comme de celle des articles prévoyant la saisie-contrefaçon pour tous les autres droits de propriété industrielle) que la requête soumise au juge afin d’être autorisé à pratiquer une saisie-contrefaçon n’exige pas pour le requérant, la preuve d’un commencement de preuve de la contrefaçon, mais seulement la preuve de l’existence effective de ses droits.

Cette interprétation se justifie d’autant plus au regard de la transposition effectuée par le législateur de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle. En effet, cette directive, qui impose au titulaire de droit qui sollicite l’autorisation de pratiquer une saisie-contrefaçon de “présenter des éléments de preuve raisonnablement accessibles” pour établir l’atteinte ou l’imminence de l’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle (article 7), laisse au législateur national, la faculté de prévoir des mesures plus favorables aux titulaires de droit (article 2). Or, la transposition de la directive en droit français dans l’article L615-5 du code de la propriété intellectuelle, ne contient pas d’autres exigences que celles de la démonstration de la qualité à agir du requérant. On pourrait donc considérer que le législateur aurait expressément exclu de soumettre l’autorisation de pratiquer une saisie à la nécessité de rapporter un commencement de preuve raisonnablement accessible de la contrefaçon.

La Cour d’appel de Paris dans une décision du 11 septembre 2018 (ARCONIC c/ CONSTELLIUM ISSOIRE) a eu l’occasion de réaffirmer la position inverse pour confirmer la rétractation d’une ordonnance sur requête aux fins de saisie contrefaçon.

La Cour a en effet jugé que s’il est vrai, que la loi n°2007-1544 du 29 octobre 2007 n’a pas transposé dans l’article L 615-5 du code de la propriété intellectuelle l’exigence pour le requérant à la saisie contrefaçon de présenter des éléments de preuve raisonnablement accessibles, toutefois « le droit de propriété conféré par un brevet n’est ni absolu ni discrétionnaire, et reste soumis, en cas de requête en saisie contrefaçon, à l’appréciation de son mérite par le juge des requêtes ». De surcroit, « l’article 3 de la directive 2004/48 du 29 avril 2004 demande que les procédures nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle soient loyales et proportionnées ».

Dès lors et dans la mesure où la Cour constate qu’il ne résulte pas de la requête « de bonnes raisons de supposer » que les produits litigieux constitueraient une contrefaçon du brevet invoqué et qu’il n’existe « aucun soupçon tangible de contrefaçon », la saisie-contrefaçon lui apparaît comme ayant été requise pour permettre à la société requérante de capter au préjudice du saisi des secrets d’affaires.

Il ressort ainsi de cette décision que la saisie-contrefaçon, mesure exorbitante obtenue de manière non contradictoire, autorisant des investigations chez un tiers sans son assentiment, impose au requérant d’agir avec loyauté et au juge d’exercer son contrôle de proportionnalité en s’assurant que la mesure de saisie-contrefaçon sollicitée ne constitue pas un détournement de la procédure visant à capter de manière déloyale des secrets d’affaires, mais repose sur des soupçons sérieux de contrefaçon.

Le Tribunal de Grande Instance de Paris dans une décision rendue moins d’un mois après, soit le 5 octobre 2018 (MYLAN c/ SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND) a quant à lui relevé, pour écarter une demande de rétractation, que si l’obtention d’une autorisation de procéder à une mesure de saisie contrefaçon qui a une finalité exclusivement probatoire « constitue un droit pour le titulaire, sans que ne soit exigé la preuve ou même le commencement de preuve de la contrefaçon, que la mesure sollicitée a précisément pour but de rapporter » c’est « sous réserve toutefois, s’agissant d’une mesure exceptionnelle, que les simples affirmations ou allégations du saisissant soient étayées par un minimum de pièces. Ainsi, il suffit au saisissant de justifier de l’existence de son droit et de communiquer au soutien de sa requête, les éléments et indices laissant supposer une atteinte à ses droits. »

Si cette motivation semble davantage conforme à la lettre de l’article L 615.5 du CPI qui ne requiert que la démonstration de la qualité à agir et la détermination de l’objet de la saisie, elle revient semble-t-il toutefois à exiger comme dans la précédente décision, d’étayer les soupçons de contrefaçon par un minimum de pièces permettant au juge de s’assurer de leur sérieux. Dès lors, cela ne revient-il pas, à rechercher la vraisemblance de la contrefaçon ?

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