PRODUITS ARTISANAUX ET INDUSTRIELS : ANALYSE DU RÈGLEMENT U.E. VOTÉ PAR LE PARLEMENT EUROPÉEN

Type

Veille juridique

Date de publication

15 septembre 2023

Le 30 mai 2023, dans le cadre d’un trilogue entre la Commission, le Parlement et le Conseil, les instances se sont accordées sur une version de la proposition de Règlement relatif à la protection des indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels (« IGPIA »).

Cette proposition a vu le jour après plusieurs années de discussion, notamment entre les représentants de producteurs de produits industriels et artisanaux, les régions européennes et les eurodéputés.

Jusqu’à présent, à l’échelle européenne, seuls les produits agricoles et les denrées alimentaires, ainsi que les vins et les boissons spiritueuses pouvaient bénéficier d’une protection via les indications géographiques (« IG »).

En France, les produits industriels et artisanaux bénéficient d’ores et déjà d’une protection depuis la loi Hamon du 17 mars 2014[1], et plusieurs produits, tels que la charentaise de Charente-Périgord, la porcelaine de Limoges, ou dernièrement le couteau Laguiole, se sont vu reconnaitre une protection sur le territoire français.

La proposition de la Commission européenne vise à conférer une protection similaire mais au niveau de l’Union européenne, dans un objectif de valorisation du savoir-faire local et de lutte contre les usages illicites[2].

Le Parlement européen a voté le 12 septembre 2023 la proposition de Règlement avec 616 voix pour, 9 contres et 6 absentions.

Notre FOCUS IP détaille les points clés de la dernière version de proposition du Règlement et vous apporte son éclairage sur son contenu.

 1. Le périmètre de la protection de l’IGPIA 

  • La définition large retenue pour les produits artisanaux et industriels

Le texte définit les produits artisanaux comme « des produits fabriqués soit entièrement à la main, soit à l’aide d’outils manuels ou digital, ou même de moyens mécaniques, pourvu que la contribution manuelle reste une composante importante du produit fini ».

Il en découle que si une contribution manuelle « directe » est requise, celle-ci n’est qu’ « une » des composantes du produit artisanal, ceci afin de permettre une protection plus élargie des produits pour lequel l’intervention manuelle ne serait qu’un des aspects de sa fabrication.

Les produits industriels sont quant à eux définis comme « des produits fabriqués de manière normalisée, y compris en série et à l’aide de machines ».

  • L’importance du lien entre le signe et l’origine

Pour bénéficier de la protection, le texte européen prévoit trois conditions cumulatives :

  • le produit doit être originaire d’un lieu déterminé ;
  • la qualité du produit, sa réputation ou une autre de ses propriétés est attribuée à son origine géographique ;
  • au moins une des étapes de production du produit doit avoir lieu dans l’aire géographique délimitée.

Cette définition de l’IG s’aligne avec celle prévue au niveau européen.

Les deux premières conditions sont identiques à celles prévues dans le régime français, contrairement à la troisième, qui a été longuement débattue dans la mesure où l’exigence d’une seule étape de production dans la zone géographique pourrait conduire à octroyer une protection à des produits majoritairement fabriquer en dehors de cette zone, amoindrissant dès lors la force de la garantie d’origine de l’IGPIA.

Pour pallier ce risque, plusieurs associations proposaient que les « principales » étapes de production aient lieu dans la zone protégée, ce qu’avait repris un des amendements du Rapporteur de la Commission des affaires juridiques, finalement écarté dans la dernière version du texte.

Les producteurs présents dans des pays tiers non-membres de l’Union européenne devraient également pouvoir bénéficier d’une IGPIA dès lors qu’ils respectent les critères fixés par le Règlement et qu’elle est protégée dans leur pays d’origine.

2. La procédure d’enregistrement

  • La qualité de demandeur à l’IGPIA

Les demandes d’enregistrement doivent être déposées par un groupement de producteurs d’un produit artisanal ou industriel, défini comme « toute association, quelle que soit sa forme juridique, composée principalement de producteurs travaillant avec le même produit ».

La proposition de Règlement se distingue ici du texte français en adoptant une définition large de la notion du groupement qui, s’il doit « principalement » être composé de producteurs, peut également intégrer d’autres opérateurs du secteurs (transformateurs, conditionnement du produit…).

Par ailleurs, un producteur isolé aura la possibilité de faire une demande si :

(i) il est le seul producteur disposé à présenter la demande ; et

(ii)l’aire géographique concernée est délimitée par une partie déterminée du territoire sans référence aux limites de propriété et présente des caractéristiques qui diffèrent sensiblement de celles des aires voisines ou les caractéristiques du produit sont différentes des caractéristiques des produits fabriqués dans les aires voisines.

En outre, de manière exceptionnelle, une autorité désignée par un Etat Membre pourra également être demanderesse à l’enregistrement.

La proposition de Règlement instaure enfin le recours à un document dit « unique » avec pour objectif de faciliter le dépôt aux demandeurs à l’IGPIA.

 Ce document unique, dont le format et la présentation seront définis dans un second temps par la Commission, comprendrait :

(i) les éléments principaux du cahier des charges, notamment la dénomination du produit et une description du produit et de la délimitation de l’aire géographique ;

(ii)une description du lien entre le produit et l’origine géographique.

  • Les exigences relatives à l’élaboration et au dépôt du cahier des charges

Tout comme pour l’enregistrement d’une IG de produit agricole, la demande devra être déposée sur la base d’un cahier des charges contenant plusieurs indications, dont notamment :

  • la dénomination à protéger et la description du produit ;
  • la définition et la délimitation de l’aire géographique ;
  • la preuve que le produit est originaire de l’aire géographique ;
  • une description des méthodes de production ;
  • des informations sur le conditionnement ;
  • les éléments établissant le lien entre les caractéristiques du produit et la zone géographique ;
  • les règles d’étiquetage.

En France, l’INPI, autorité en charge des demandes d’IGPIA, est particulièrement attentive à ce que le lien entre la zone géographique et les caractéristiques du produit soit bien défini. La Cour de cassation a ainsi rejeté la demande d’IGPIA du groupement de producteurs du savon de Marseille, le cahier des charges visait l’ensemble du territoire français, sans délimiter une aire géographique associée aux caractéristiques du produit[3].

  • Le système d’enregistrement à deux niveaux

L’enregistrement de l’IGPIA se déroulera en deux étapes successives[4] :

  • Une première étape devant l’Etat membre : La demande d’enregistrement est déposée par voie électronique auprès de l’autorité nationale compétente, laquelle vérifiera que le produit respecte les conditions ouvrant droit à la protection et que les informations requises ont été correctement communiquées (cahier des charges, document unique…).

Chaque Etat membre devra donc nommer une autorité pour examiner les demandes d’IGPIA, sauf si l’Etat membre y renonce et opte pour un enregistrement directement devant l’EUIPO.

En France, l’INPI a été désigné pour délivrer les IGPIA au niveau national[5], de sorte qu’elle pourrait être également en charge au niveau de l’Union.

  • Une seconde étape devant l’EUIPO : après le dépôt de la demande par l’autorité nationale, l’EUIPO instruira la demande d’homologation au niveau européen, rendra la décision d’enregistrement et se chargera de la publication de l’IGPIA dans le registre de l’Union des indications géographiques pour les produits artisanaux et industriels.

Si un Etat membre pourra prévoir des frais d’enregistrement, aucun frais ne sera demandé par l’EUIPO pour l’examen des demandes.

Par ailleurs, afin de renforcer l’effectivité du système, un délai de 6 mois maximum est laissé à l’EUIPO pour mener à bien l’examen.

  • Les contentieux relatifs à l’enregistrement

 Deux procédures d’opposition sont prévues :

  • Lors de la première étape nationale, pendant un délai d’au moins deux mois à compter de la date de publication, par toute personne ayant un intérêt légitime et résident sur le territoire de l’Etat membre.

 L’autorité compétente devra établir les modalités détaillées de la procédure d’opposition.

  • Lors de la seconde étape devant l’EUIPO : pendant un délai de 3 mois à compter de la date de publication dans le registre européen. L’opposant pourra être :
    • l’autorité compétente d’un Etat membre ou d’un Etat tiers ;
    • une personne morale ou physique ayant un intérêt légitime, quel que soit son lieu de résidence, à l’exclusion de l’opposant national.

Dans les deux procédures d’opposition, l’opposant pourra se fonder sur l’existence d’IG identiques antérieures, le fait que l’IG sollicitée est générique ou encore qu’elle porterait atteinte à une marque antérieure.

Un recours contre les décisions rendues par l’autorité nationale et l’EUIPO devront également être mis en place.

3. La protection conférée par l’enregistrement

  • L’habilitation de l’opérateur et le droit d’utilisation

 Une fois l’IGPIA enregistrée, tout producteur commercialisant un produit conforme au cahier des charges dispose d’un droit d’utilisation, lui permettant d’utiliser la dénomination protégée sur l’étiquette et dans le cadre de la promotion de ses produits.

En pratique, l’opérateur devrait en principe déposer une demande d’habilitation auprès du groupement de producteur, lequel acceptera ou non l’habilitation, notamment au regard de la conformité des produits fabriqués avec le cahier des charges.

  • La protection de l’IGPIA

Afin de protéger l’IGPIA et de donner les moyens aux producteurs de s’opposer aux utilisations abusives ou trompeuses, la proposition de Règlement leur confère quatre niveaux de protection :

  • L’interdiction de l’utilisation commerciale directe ou indirectede la dénomination protégée pour les produits qui n’y ont pas droit.

La protection concerne tant les produits en eux-mêmes que leur emballage et les supports marketing et d’informations.

Cette disposition permet de s’opposer à l’utilisation de la dénomination par des tiers pour des « produits comparables aux produits protégés par [l’IGPIA] ou lorsque l’utilisation de la dénomination exploite, affaiblit, dilue ou porte atteinte à la réputation de l’indication géographique protégée ».

  • L’interdiction de l’usurpation, de l’imitation ou de l’évocation de la dénomination, y compris avec des expressions telles que « style », « type », « imitation » …

 Il a été précisé que celle-ci requiert un « lien suffisamment direct et évident avec le produit couvert par [l’IGPIA] dans l’esprit du consommateur européen moyen, raisonnablement informé et raisonnablement attentif et avisé. »

  • L’interdiction de toute indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités essentielles du produit.
  • L’interdiction de toute autre pratique susceptible d’induire le consommateur en erreur quant à la véritable origine des produits.

La proposition reprend donc les dispositions des Règlements sur les AOP/IGP des produits agricoles, des vins et des boissons spiritueuses.

Cette protection conférée à l’IGPIA s’applique pour tous les produits quel que soit leur canal de distributions (commerce, internet…) et y compris pour les marchandises entrant sur le territoire douanier de l’UE sans y être mises en libre circulation.

  • L’IGPIA comme signe distinctif opposable

La proposition prévoit que les IGPIA enregistrées pourront être invoquées pour s’opposer à l’enregistrement d’une marque.

Elles pourront également être invoquées dans le cadre de procédures alternatives de règlement des litiges concernant les noms de domaine.

  • Les règles d’étiquetage

La proposition de Règlement comprend les règles d’utilisation des symboles de l’Union et des abréviations sur l’étiquetage et la publicité du produit concerné.

Notamment, la proposition prévoit que si le produit est originaire de l’UE et commercialisé sous une IGPIA enregistrée, le symbole de l’UE peut figurer sur l’étiquetage et sur la publicité :

  Logo de IGP

Ce logo pourra être accompagné d’une représentation de l’aire géographique en cause et/ou des références (texte, représentation graphique ou symbole) relatives à l’Etat membre où est situé l’aire géographique.

En outre, la proposition autorise l’apposition de l’abréviation « IGP » sur l’étiquetage des produits bénéficiant d’une IGPIA.

  • Les vérifications et contrôles de l’IGPIA

 La proposition prévoit que les Etats membres doivent désigner une ou plusieurs autorités compétentes chargées des contrôles, qui consisteraient en :

  • La vérification qu’un produit désigné par une IGPIA a été fabriqué en conformité avec le cahier des charges correspondant.

 Cette vérification est effectuée au moyen d’une auto-déclaration que le producteur devra soumettre aux autorités compétentes, en vue d’obtenir un certificat d’autorisation d’utilisation, renouvelable tous les trois ans.

Les autorités compétentes pourront également effectuer des contrôles sur les produits, elle-même ou en faisant appel à un organisme de certification.

  • La vérification de l’utilisation des IGPIA sur le marché. En cas d’atteinte à une IGPIA, les autorités auront le pouvoir de prendre des mesures administratives et judiciaires, afin d’empêcher ou faire cesser l’agissement illicite.

 * * *

La proposition de Règlement doit maintenant être formellement approuvé par le Conseil.

le Règlement entrera ensuite en vigueur 20 jours après sa publication au Journal officiel de l’UE et sera applicable directement dans les Etats membres deux ans après cette date.

Il reviendra ensuite aux Etats membres de transposer les nouvelles dispositions dans l’ordre national.


[1] La loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

[2] En 2013, une étude européenne dénombrait 834 produits artisanaux potentiellement éligibles à une IG.

[3] Cass., Com., 16 mars 2022, n°19-25.123.

[4] Voir le schéma sur la procédure d’enregistrement IGPIA en annexe.

[5] Pour les AOP/IGP de produits agricoles ou de vins, l’INAO est en charge de l’examen national.

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