Projet de loi « Orientation des mobilités » (LOM) : vers une libéralisation du marché des pièces détachées de véhicules automobiles ?

Type

Veille juridique

Date de publication

28 octobre 2019

Déposé le 26 novembre 2018, le projet de loi « LOM » n°730 fait l’objet d’une procédure d’examen accélérée. Après avoir été adopté par le Sénat le 2 avril 2019, une version modifiée de ce projet a été adoptée par l’Assemblée nationale le 17 septembre 2019. Celle-ci comporte un amendement, introduit par le gouvernement, visant à modifier les dispositions du Code de la propriété intellectuelle relatives à la protection des pièces détachées visibles de véhicules automobiles.

Récemment transmise au Sénat, la nouvelle version du projet de loi sera discutée en séance publique le 5 novembre prochain.

L’objectif de la réforme est, selon le rapport de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale, de « libéraliser, de façon progressive et adaptée, le marché des pièces détachées visibles pour l’automobile, dans le but de dynamiser la compétitivité des équipementiers de la filière automobile, de favoriser la baisse des coûts pour les consommateurs et d’éviter le recours illicite à des contrefaçons pouvant présenter un risque de défaillance grave. »

L’étude du projet de loi révèle que les outils de cette libéralisation ne sont pas nouveaux et que l’impact de la réforme envisagée sur le marché des pièces détachées demeurera plutôt limité.

  • Rappel des règles de protection applicables aux pièces détachées visibles de véhicules automobiles

En vertu de l’article 3 du Règlement n°6/2002 du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires et de l’article L.511-1 du Code de la propriété intellectuelle, la protection du droit des dessins et modèles peut être accordée à l’apparence d’un produit, ou d’une partie de produit, caractérisée par ses lignes, contours, couleurs, forme, texture ou matériaux.

Cette protection peut bénéficier aux pièces détachées visibles de véhicules automobiles, i.e. les pièces de carrosserie, dès lors qu’elles participent de l’apparence de ces véhicules, qu’elles sont nouvelles et bénéficient d’un caractère propre. Le titulaire de dessins et modèles sur des pièces détachées de véhicule, à savoir le constructeur automobile, peut alors interdire leur reproduction à des fins de fabrication, commercialisation, détention ou utilisation.

Si les régimes des dessins et modèles français et communautaires sont jusqu’ici identiques, l’étendue du monopole conféré diverge du fait de l’adoption, ou non, de la clause dite de réparation.

Pour les dessins et modèles communautaires, l’article 110.1 du Règlement n°6/2002 du 12 décembre 2001 précise que la protection ne bénéficie pas aux pièces de produits complexes utilisées pour permettre la réparation dudit produit en vue de lui rendre son apparence initiale. Autrement dit, les opérateurs économiques sont libres de reproduire et de commercialiser des pièces détachées identiques à celles protégées par un dessin ou modèle communautaire, dès lors qu’elles ont pour objectif de réparer un produit complexe devenu défectueux notamment à la suite de l’absence de la pièce d’origine ou d’un dommage causé à celle-ci.

L’objectif de cette clause de réparation est de limiter le monopole des constructeurs automobiles sur les pièces détachées à leur 1ère monte sur le véhicule, et d’ouvrir le marché de la 2ème monte à leurs concurrents afin de permettre une offre commerciale et tarifaire variée aux consommateurs.

La directive 98/71/CE du 13 octobre 1998 sur la protection des dessins et modèles, visant à harmoniser les protections nationales, n’a pas imposé l’adoption de cette clause de réparation au sein des législations des Etats membres, et ce en raison de divergences persistantes sur ce sujet.

Le législateur français a donc initialement choisi de ne pas intégrer la clause de réparation au régime de protection des dessins et modèles nationaux. Les constructeurs automobiles, titulaires de titres français, sont donc fondés à interdire l’importation et la commercialisation sur le territoire français de pièces détachées les reproduisant et ce même en vue de la réparation de leurs véhicules.

Compte tenu de cette protection nationale plus étendue, les constructeurs automobiles ont tout intérêt à privilégier l’obtention de titres français pour la protection de leurs pièces détachées.

Le projet de loi « LOM » entend libéraliser le marché des pièces détachées et, à cette fin, réduire l’étendue de la protection nationale.

  • Projet de loi « LOM » : limitation de la protection nationale accordée aux pièces détachées de véhicules automobiles

Tout d’abord, l’article 31 sexies du projet de loi intègre une clause de réparation allégée à l’article L.513-6 du Code de la propriété intellectuelle en ajoutant un nouveau cas dans lequel les droits conférés par un titre de dessin et modèle ne peuvent être exercés.

Il est ainsi prévu que le titulaire d’un dessin et modèle français ne peut exercer ses droits à l’encontre « d’actes visant à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ou à une remorque au sens de l’article L. 110-1 du Code de la route  » et qui (i) portent sur des pièces relatives au vitrage, à l’optique et aux rétroviseurs, ou (ii) qui sont réalisés par l’équipementier ayant fabriqués la pièce d’origine.

(i) Ainsi, les constructeurs ne pourraient plus exercer leurs droits à l’encontre de la 2ème monte (et des montes successives) réalisée à des fins de réparation et portant sur des pièces de vitrage, optique ou rétroviseurs. Cette disposition serait applicable à compter du 1er janvier 2020.

La portée de cette nouvelle limite doit toutefois être nuancée. Les types de pièces concernés présentent un aspect technique et fonctionnel relativement important qui rend, en pratique, plus difficile leur accès à la protection du droit des dessins et modèles. La répression de leur reproduction par les titulaires de droit est donc limitée.

(ii) Par ailleurs, les constructeurs seraient dans l’impossibilité d’exercer leurs droits à l’encontre de l’équipementier ayant fabriqué la pièce d’origine. Celui-ci pourra commercialiser la même pièce détachée pour assurer la réparation du véhicule du constructeur pour lequel il aura initialement fourni la pièce d’origine. Cette disposition serait applicable à compter du 1er janvier 2021.

A priori, cette clause présente les mêmes effets que la clause de réparation prévue par le régime des dessins et modèles communautaires. Cependant, sa portée est limitée aux seuls équipementiers ayant fourni la pièce d’origine, et les titulaires de droits pourront toujours agir à l’encontre de leurs autres équipementiers.

Une autre limitation est prévue par le projet de loi puisque l’article L.513-1 du Code de la propriété intellectuelle serait complété afin d’abaisser la durée de protection des pièces détachées visant à restituer l’apparence initiale d’un véhicule à un maximum de 10 ans. Il s’agit d’une réduction significative de la durée de protection « ordinaire » fixée à un maximum de 25 ans.

Enfin, et afin d’éviter un contournement de ces nouvelles dispositions, le projet de loi modifie également l’article L.122-5 du Code de la propriété intellectuelle pour ajouter une nouvelle exclusion à la protection du droit d’auteur. La reproduction, l’utilisation et la commercialisation de pièces destinées à rendre leur apparence initiale à un véhicule à moteur ne pourront donc pas être sanctionnées sur le fondement du droit d’auteur. Le principe dit de l’unité de l’art en vertu duquel il est possible de cumuler les régimes du droit d’auteur et des dessins et modèles ne serait pas remis en cause par cette nouvelle disposition qui limiterait seulement l’étendue de la protection des pièces détachées.

Il en résulte que l’objectif de libéralisation affiché par le législateur n’est pas complètement atteint, et que le régime de protection français des pièces détachées demeurera toujours plus étendu que celui prévu par le Règlement communautaire.

Les titres de dessins et modèles français demeureront donc plus attractifs pour les constructeurs automobiles, et il n’est pas exclu que cette considération ait orienté la rédaction de ce projet de loi.

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