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Statut des travailleurs de plateforme, tour d’horizon de la jurisprudence
Veille juridique
28 juin 2022
Les travailleurs de plateformes sont, en majorité, des autoentrepreneurs recourant pour l’exercice de leur activité professionnelle, à une ou plusieurs plateformes de mise en relation par voie électronique. Il s’agit notamment des chauffeurs VTC Uber ou des livreurs Deliveroo pour ne citer que deux plateformes parmi les plus connues, mais ce modèle économique est en plein essor.
Le Code du travail attache aux travailleurs ayant un statut d’autoentrepreneur une présomption de non-salariat. En effet, en vertu de l’article L 8221-6 du Code du travail, les personnes physiques inscrites aux différents registres et répertoires professionnels sont réputées non-salariées. Toutefois cette présomption peut être renversée, conduisant à une requalification de ces travailleurs indépendants en salariés. Ce changement de statut n’est pas anodin, et entraine l’application de toutes les règles de droit du travail (congés payés, droit de grève, liberté syndicale, visite médicale, salaire minimum, rupture du contrat encadrée, taxes et charges sur les salaires, heures supplémentaires ou encore responsabilité de l’employeur…). Tous ces bouleversements, allant dans l’intérêt du travailleur et effrayant les plateformes numériques, sont conditionnés à l’existence d’un lien de subordination entre la plateforme et les travailleurs. C’est ce lien que la jurisprudence tente de définir de plus en plus précisément, non sans mal, à travers des décisions des juridictions sociales et pénales.
Par cinq décisions incontournables, les juges ont tracé les contours des faisceaux d’indices pouvant conduire à la requalification du statut des travailleurs de plateformes en salariat. Cette analyse permet aux employeurs de comprendre où se placent les limites à ne pas franchir concernant les directives, le contrôle de l’exécution et les sanctions de la non-exécution des missions des travailleurs de plateformes.
Le 4 mars 2020, la Chambre Sociale de la Cour de cassation a reconnu l’existence d’un lien de subordination dans « l’affaire UBER » (Cass. Soc. 4 mars 2020, n°19-13.316). En effet, le pouvoir de direction a été caractérisé par l’impossibilité pour le chauffeur de choisir ses clients et par l’incitation à rester connecté constamment sur l’application sous réserve de perte d’accès au compte en cas de déconnexion trop fréquente. Le pouvoir de contrôle a été caractérisé par les algorithmes prévoyant l’itinéraire et le suivi par géolocalisation. De plus, en cas d’inefficacité, le chauffeur voit le tarif de ses courses se réduire. Enfin le pouvoir de sanction a été illustré dans la perte d’accès à l’application pour des raisons « à la discrétion de la plateforme UBER ».
Dans la lignée de cette décision, le 24 juin 2020, la Cour de cassation a caractérisé à nouveau un lien de subordination dans « l’affaire Take Eat Easy » (Cass. soc. 24 juin 2020 n°18-26.088). Ce jugement énonce que la géolocalisation est un outil de contrôle des performances des travailleurs. Par ailleurs, les pénalités mises en œuvre par la plateforme telles que les pertes de bonus, les convocations ou les pertes d’accès au compte sont des preuves de la caractérisation d’un pouvoir de sanction.
Les Juges ne requalifient pas automatiquement les travailleurs indépendants en salariés et s’emploient à analyser chaque situation d’espèce. C’est ainsi que le 5 avril 2022, « l’affaire ClickWalker » (Cass. Crimes 5 avril 2022 n°20-81.775) a permis de rappeler dans quel cas le lien de subordination ne peut être caractérisé. Sur cette plateforme, les travailleurs peuvent notamment abandonner leur mission durant l’exécution de celle-ci. L’entreprise n’a aucun moyen de contrôle pendant l’exécution d’une mission, elle vérifie seulement le résultat afin de débloquer la rémunération en cas de succès, ce qui, pour la Haute juridiction, est le principe même de tout contrat commercial.
De la même façon, le 13 avril 2022, la Chambre Sociale, dans « l’affaire LE CAB » (Cass. soc. 13 avril 2022 n°20.14-870) a rappelé que le faisceau d’indice assurant une insertion du travailleur dans un service organisé ne suffit pas à démontrer l’existence d’un lien de subordination. Ici la Cour énonce que la géolocalisation et l’évaluation des services sont deux choses inhérentes aux services des plateformes et ne peuvent donc pas constituer un pouvoir de contrôle ou de sanction. Cette décision permet de redéfinir le niveau de contrôle et de sanctions que les plateformes peuvent atteindre sans risquer de rentrer dans le cadre du salariat.
En opposition à ces deux dernières décisions de la Chambre Sociale, le Tribunal correctionnel, le 19 avril 2022 a sanctionné la plateforme Deliveroo de la peine maximale pour travail dissimulé à savoir 375 000 euros pour abus des statuts d’indépendants des travailleurs. Cette sanction a été motivée par un faisceau d’indice. Il a notamment été souligné que c’était la plateforme qui créait l’offre de service et non le livreur, il existait un véritable encadrement opérationnel concrétisé par l’octroi d’une tenue spéciale et des éléments de facturation par la société. Par ailleurs ces travailleurs sont dans une situation de dépendance économique et n’ont pas les moyens de travailler pour d’autres acteurs du marché. Sans oublier la problématique de la géolocalisation synonyme d’un contrôle effectué par la plateforme. La société Deliveroo a fait appel et dément l’existence d’un quelconque lien de subordination entre la plateforme et les travailleurs indépendants. Cette décision est importante, d’autant que le Tribunal a suivi l’avis de la Chambre sociale de la Cour de cassation qu’il avait consultée en amont. L’avis était donc partagé par cette juridiction sociale, rendant le paysage jurisprudentiel encore plus fluctuant.
A défaut d’une définition homogène du statut des travailleurs de plateformes par les juridictions, le législateur a pu contourner le problème de la requalification en encadrant directement les travailleurs de plateformes et en s’assurant que ces derniers, même non requalifiés en salariés puissent avoir accès au dialogue social. Ainsi, pouvons-nous souligner la création, le 21 avril 2021, d’une Autorité des Relations sociales des Plateformes d’Emploi (ARPE) chargée de réguler le dialogue social entre les plateformes de mise en relation et les travailleurs qui leur sont liés par un contrat commercial. L’ARPE organise notamment les élections et la formation de représentants des travailleurs de plateformes et les protège en cas de rupture du contrat. Le but étant dans un avenir proche de négocier avec les plateformes leur droit à de meilleures conditions de travail.