La validité du « barème MACRON » d’indemnisation prud’homale mise à l’épreuve : position discordante des Conseils de prud’hommes

Type

Veille juridique

Date de publication

27 février 2019

Le plafonnement des indemnités prud’homales a été consacré par l’ordonnance dite « Macron » n°2017-1387 du 22 septembre 2017 qui fixe un barème de montants minimaux et maximaux des dommages et intérêts à la charge de l’employeur en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse ou abusif.

Alors que le barème d’indemnisation a été adopté dans un souci d’harmonisation des décisions et de sécurité juridique, il a soulevé de nombreuses critiques, dont l’impossibilité de réparer intégralement le préjudice des salariés selon ses détracteurs.

Cependant, ce dispositif a été validé tant du point de vue de sa constitutionnalité que de sa conventionnalité. D’une part, le Conseil constitutionnel s’est prononcé en faveur de sa constitutionnalité par deux décisions du 7 septembre 2017 et du 21 mars 2018. D’autre part, le Conseil d’Etat a validé le dispositif sur le fondement de l’article 10 de la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de l’article 24 de la Charte sociale européenne, qui consacrent le principe selon lequel l’indemnité versée en cas de licenciement injustifié doit être adéquate ou prendre toute autre forme de réparation appropriée.

La fin de l’année 2018 et le début de l’année 2019 sont marquées par de nombreuses décisions des juridictions prud’homales sur la question de la validité du barème d’indemnisation prud’homale, dont il résulte une véritable discordance entre les juridictions sur la question.

A ce jour, quatre Conseils de prud’hommes se sont prononcés en faveur de la validité du barème :

  • Conseil de Prud’hommes du Mans, jugement du 26 septembre 2018 n°17/00538  : le barème d’indemnisation n’empêche pas le juge d’apprécier le préjudice subi car d’une part le barème ne s’applique pas de façon généralisée, notamment aux licenciements intervenant dans un contexte de manquement particulièrement grave de l’employeur tel que la violation d’une liberté fondamentale, harcèlement moral ou sexuel, atteinte à l’égalité professionnelle hommes-femmes, et d’autre part les salariés peuvent obtenir une réparation distincte pour les autres préjudices en lien avec le licenciement sur le fondement du droit de la responsabilité civile. De plus, les conseillers prud’homaux ont considéré que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’est pas d’application directe devant la juridiction prud’homale dans la mesure où les parties visées par cet article sont les gouvernements signataires de la Charte et non directement les particuliers.
  • Juge départiteur du Conseil de prud’hommes de Caen, jugement du 18 décembre 2018 n°17/00193  : au préalable, rappelons que le juge départiteur est un magistrat professionnel désigné par le Tribunal de grande instance qui intervient en cas de partage de voix des conseillers. Le juge s’est fondé sur la décision du Conseil constitutionnel du 21 mars 2018 précitée pour valider le dispositif en considérant qu’il n’était pas démontré en l’espèce « l’existence d’un préjudice dont la réparation adéquate serait manifestement rendue impossible par l’application du plafond du barème  ».
  • Conseil de prud’hommes du Havre, jugement du 15 janvier 2019 n°18/00318  : le barème d’indemnisation répare « le préjudice seulement au regard de l’ancienneté du salarié, et permet dans les bornes maximum et minimum du barème d’apprécier la réparation du préjudice subi en fonction des éléments produits par les parties (âge du salarié, situation du salarié après le licenciement)  ». Le Conseil de prud’hommes a également relevé que les autres préjudices peuvent être réparés sur le fondement de la responsabilité civile si le salarié en apporte les éléments de preuve. De plus, les conseillers ont considéré que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’est pas applicable devant la juridiction prud’homale.
  • Section Activités diverses du Conseil de prud’hommes de Grenoble, jugement du 4 février 2019 n°18/01050  : le barème d’indemnisation contesté par le salarié est conforme à l’exigence de réparation adéquate imposée par les textes internationaux. Cependant, les conseillers laissent planer une incertitude sur la portée de la décision en précisant que « le salarié n’avait pas démontré l’existence d’un préjudice dont la réparation serait manifestement rendue impossible par l’application du plafond du barème », ce qui laisse entendre que cela pourrait ne pas toujours être le cas. Cette incertitude est d’ailleurs confirmée par la décision en sens contraire prononcée par la section Industrie du même Conseil de prud’hommes de Grenoble le 18 janvier 2019 (cf. ci-dessous).

Cependant, six Conseils de prud’hommes ont invalidé le barème d’indemnisation :

  • Conseil de prud’hommes de Troyes, jugement du 13 décembre 2018 n°18/00036  : le barème d’indemnisation ne permet pas aux juges « d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi  » et « d’être dissuasifs pour les employeurs qui souhaiteraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables  » sur le fondement des articles 10 de la Convention n°158 de l’OIT et 24 de la Charte sociale européenne. Les conseillers prud’homaux ont fixé les dommages et intérêts à 9 mois de salaire alors que selon le barème d’indemnisation, le salarié ayant une ancienneté de 2 ans n’aurait eu droit qu’à 3,5 mois de salaire maximum. A l’appui de son argumentation, le Conseil de prud’hommes de Troyes s’est référé à une décision du Comité européen des droits sociaux du 8 septembre 2016 ayant considéré qu’une loi finlandaise fixant un plafond de 24 mois d’indemnisation était contraire aux dispositions de la Charte sociale européenne.
  • Conseil de prud’hommes d’Amiens, jugement du 19 décembre 2018 n°18/00040 : l’indemnité de 0,5 mois de salaire à laquelle le salarié pouvait prétendre en application du barème pour une ancienneté de 2 ans dans une entreprise de moins de 11 salariés est inappropriée et donc contraire à l’article 10 de la Convention n°158 de l’OIT. Les conseillers ont précisé qu’en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié subit irrémédiablement un dommage d’ordre psychique et financier (baisse importante de revenus) qui doit être réparé.
  • Conseil de prud’hommes de Lyon (sections Activités diverses, Commerce et Industrie), jugements du 21 décembre 2018 n°18/01238, du 7 janvier 2019 n°15/01398 et du 22 janvier 2019 n°18/00458  : écartent le barème sur le fondement des textes conventionnels internationaux en considérant qu’ils sont « directement applicables » (3ème espèce). Dans la 1ère espèce, les conseillers ont alloué des dommages et intérêts à hauteur de 3 mois de salaire alors que le salarié n’avait travaillé qu’un seul jour. Dans la 2ème espèce, les conseillers ont considéré qu’une faible ancienneté (moins d’un an) n’exclut pas la nécessité d’indemniser le salarié en fonction d’une situation personnelle et/ou professionnelle et d’un « préjudice professionnel réel, plus lourd que l’ancienneté  » et ont accordé au salarié une indemnité d’environ 2,5 mois de salaire. Enfin, dans la 3ème espèce, les conseillers ont alloué des dommages et intérêts à hauteur de presque 6 mois de salaire alors qu’en vertu du barème la salariée ayant une ancienneté de 4 ans aurait pu prétendre à 5 mois de salaire maximum.
  • Conseil de prud’hommes d’Angers, jugement du 17 janvier 2019 n°18/00046  : écarte le barème et alloue des dommages et intérêts de 12 mois de salaire à un salarié ayant 12 ans d’ancienneté, soit un mois de plus que le plafond fixé par le barème.
  • Jugement du 18 janvier 2019 (n°18/00989), Section Industrie du Conseil de prud’hommes de Grenoble : contrairement à la section Activités diverses (jugement précité), le barème n’est pas adapté au cas d’espèce dans lequel le salarié n’avait pas bénéficié d’une visite médicale lors de sa reprise de travail suite à son accident de travail et avait été licencié sans respecter aucune procédure. Les conseillers ont alloué au salarié qui avait un an d’ancienneté des dommages et intérêts à hauteur de 2,3 mois de salaire au lieu de 2 mois de salaire maximum. Il est intéressant de relever qu’en plus de la Charte sociale européenne et de la Convention 158 de l’OIT, les conseillers ont également invoqué la violation du droit au procès équitable dans la mesure où le barème « ne permet assurément pas au Juge de moduler l’appréciation des préjudices du salarié en fonction des différents paramètres de sa situation lorsqu’il existe si peu de marge laissée entre le plancher et le plafond ».
  • Juge départiteur du Conseil de prud’hommes d’Agen, jugement du 5 février 2019 n°19/00017 : le barème d’indemnisation « ne permet pas dans tous les cas une indemnité adéquate ou une réparation appropriée, ne prévoyant pas des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par le salarié  ». En l’espèce, l’indemnité de 4 mois allouée à la salariée est double par rapport au maximum fixé par le barème pour une ancienneté de moins de 2 ans.

Cette position discordante des juridictions prud’homales introduit une incertitude juridique, étant néanmoins rappelé qu’à ce jour la grande majorité des décisions prud’homales applique le barème Macron.

Il faut cependant attendre l’appréciation des Cours d’appel et de la Cour de Cassation, qui auront l’occasion de se prononcer sur la question. En tout état de cause, compte tenu de la multiplication des décisions invalidant le barème légal d’indemnisation, il faut s’attendre à ce que la contestation du barème par les salariés devienne systématique.

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