Abus de position dominante par la fixation de prix inférieurs aux coûts

Type

Droits des contrats - distribution - concurrence - consommation

Date de publication

15 avril 2022

Cass. com. 9 juin 2021, n°19-10.943

Si le principe général en matière de prix est la liberté de fixation, cette liberté connaît certaines limites et l’autorité de la concurrence n’hésite pas à sanctionner les pratiques abusives, notamment celles relatives aux prix d’éviction d’une entreprise en position dominante. C’est le sujet de l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en date du 9 juin 2021 (n°19.10-943).

En l’espèce, la SNCF avait fait l’objet d’une condamnation par l’Autorité de la concurrence dans une décision du 18 décembre 2012 (ADLC n°12-D-25) à la suite d’une saisine d’office et d’une plainte de la société ECR notamment pour des pratiques de prix d’éviction. L’Autorité avait, notamment, condamné la SNCF pour un abus de position dominante car la SNCF mettait en œuvre des prix d’éviction et avait prononcé des injonctions relatives à ces prix d’éviction. La Cour d’appel de Paris, statuant sur renvoi après cassation, avait confirmé la décision de l’ADLC sauf en ce qui concerne l’un des termes de l’injonction (CA Paris, 20 décembre 2018, n°17/01304).

Devant la Cour de cassation, la SNCF critiquait le raisonnement de la Cour d’appel de Paris en ce qu’elle avait considéré que les prix que la SNCF pratiquait étaient de nature à éliminer ses concurrents sans prendre en considération les coûts de ces derniers et en tenant uniquement compte de ses propres coûts. Autrement dit, la SNCF considérait que pour qualifier les prix qu’elle pratiquait de prix d’éviction, la juridiction d’appel aurait dû vérifier si les prix des concurrents de la SNCF étaient supérieurs à ses propres prix pour déterminer si les concurrents étaient évincés. La SNCF mettait également en avant que la Cour d’appel de Paris aurait supposément constaté l’absence de « données fiables » et « suffisantes » permettant de calculer le coût marginal moyen à long terme.

Pour rappel, pour qualifier la pratique de prix d’éviction d’une entreprise dominante, les autorités de concurrence et les juridictions ont recours au test du « concurrent aussi efficace ». Ce test repose sur la seule analyse des coûts et des prix pratiqués par l’entreprise dominante elle-même (CJCE 3 juill. 1991, aff. C-62/86, AKZO c/ Commission). En effet, si les prix pratiqués par l’entreprise en position dominante se situent en dessous de son « coût évitable moyen » (moyenne des coûts qui auraient pu être évités si l’entreprise n’avait pas produit une unité supplémentaire), la Commission considère qu’il est probable que « l’entreprise sacrifie ses profits à court terme et qu’un concurrent aussi efficace ne peut pas satisfaire les consommateurs sans subir de pertes ». La Commission se réfère également au « coût marginal moyen à long terme » (moyenne de tous les coûts, variables et fixes, qu’une entreprise supporte pour produire un produit déterminé), et considère qu’un coût marginal moyen à long terme non couvert indique que « l’entreprise dominante ne couvre pas tous les coûts fixes imputables de la production du bien ou du service en cause et qu’un concurrent aussi efficace pourrait être évincé du marché ». (Communication de la Commission — Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes, OC C 45, 24 février 2009).

Dans son arrêt en date du 9 juin 2021, la Cour de cassation va rejeter les moyens de la SNCF. En effet, si elle admet que conformément à la jurisprudence européenne (voir par exemple CJUE, 17 février 2011, aff C-52/09, Konkurrensverket contre TeliaSonera Sverige AB), les coûts et les prix des concurrents peuvent éventuellement être pris en compte dans l’appréciation de la pratique des prix d’éviction d’une entreprise dominante, notamment lorsque la structure des coûts de l’entreprise dominante n’est pas précisément identifiable, les conditions ne sont, en l’espèce, pas réunies. Ainsi, la Cour de cassation rejette le moyen de la SNCF tenant à l’absence de données fiables et suffisantes relativement aux coûts en avançant que (i) la Cour d’appel avait qualifié les données d’insuffisantes pour justifier l’utilisation d’un tableau des charges communes dans le calcul du coût marginal moyen à long terme, (ii) la Cour d’appel avait reconnu la fiabilité des données utilisées par l’ADLC, même si ces données n’étaient pas produites par la SNCF.

La Cour de cassation fait donc là une application rigoureuse de la pratique de la Commission européenne et de la jurisprudence des juridictions européennes.

Autre point remarquable, la SNCF invoquait le fait que ses coûts étaient supérieurs à ceux de ses concurrents du fait d’obligations légales et règlementaires contraignantes et qu’une telle situation devait amener la Cour d’appel à prendre en considération non pas les propres coûts de l’entreprise dominante mais les coûts des entreprises concurrentes.
Une nouvelle fois, la Cour de cassation fait une application rigoureuse de la jurisprudence européenne en rejetant cet argument (CJUE 14 oct. 2010, aff. C-280/08, Deutsche Telekom).

Rendu à la suite d’un premier renvoi sur cassation, cet arrêt clôt définitivement une affaire qui avait eu des enjeux importants dans le cadre de l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs en France.

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