AFFAIRE LAGUIOLE : Victoire à la Pyrrhus pour la commune de Laguiole

Type

Veille juridique

Date de publication

25 juin 2019

Cour d’appel de Paris, Pôle 5, chambre 1, 5 mars 2019, RG n° 17/04510

L’affaire LAGUIOLE, riche en rebondissement, aboutit après près de neuf ans de procédure et aura fait l’objet de vifs débats au niveau national en raison d’une opinion publique choquée par ce qu’elle considérait être une appropriation d’un nom public par une personne privée.

Elle aura d’ailleurs donné lieu à l’adoption de la loi n°2014-344 relative à la consommation (dite « loi Hamon ») du 17 mars 2014 venue étendre la protection accordée aux produits agroalimentaires aux produits industriels et artisanaux. Cette loi a notamment créé les « Indications géographiques protégeant les produits industriels et artisanaux » afin d’éviter l’usurpation d’un nom de collectivité par des tiers.

Plus particulièrement, l’arrêt rendu sur renvoi après cassation par la Cour d’appel de Paris vient préciser les conditions dans lesquelles un nom géographique peut constituer un signe servant à désigner les produits ou services constitutifs d’une marque.

En l’espèce, la commune de Laguiole, connue pour ses couteaux et son fromage bénéficiant d’une appellation d’origine contrôlée et dont le nom constitue une indication de provenance pour certaines catégories de produits, a assigné en justice les consorts S., la société Laguiole ainsi que leurs licenciés, notamment en nullité de leurs marques LAGUIOLE et pour pratiques commerciales trompeuses.

Ce conflit a débuté en 1993 lorsque la Société Laguiole a déposé plusieurs marques comportant le nom Laguiole pour divers produits et services. Elle avait alors accordé des licences à des sociétés fabriquant des produits à l’étranger (notamment en Chine et Pakistan).

La commune de Laguiole avait tenté d’obtenir la nullité de certaines marques sans succès après le rejet de ses demandes dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 3 novembre 1999. Plus de dix ans après, la commune s’était vu rejeter sa demande de marque LAGUIOLE en raison de l’antériorité des dépôts effectués en 1993.

C’est dans ce contexte que la commune a assigné en 2010 devant le Tribunal de grande instance de Paris la Société Laguiole afin d’obtenir notamment l’annulation de plus de vingt marques comprenant le terme LAGUIOLE. Par un jugement du 13 septembre 2012, le Tribunal de grande instance de Paris avait déclaré irrecevables ou non fondées les demandes en nullité de certaines marques. Ce jugement avait été confirmé par la Cour d’appel de Paris le 4 avril 2014.

Par la suite, la Cour de cassation avait dans un arrêt du 4 octobre 2016, cassé partiellement l’arrêt de la Cour d’appel en considérant qu’elle n’avait pas recherché si l’utilisation du nom de la commune Laguiole n’était pas susceptible d’induire en erreur le consommateur, en lui faisant croire que les produits exploités sous les marques LAGUIOLE étaient originaires de ladite commune.

Devant la Cour d’appel de renvoi, la commune de Laguiole a fondé ses demandes sur le droit des marques et les pratiques commerciales trompeuses.

- Concernant l’aspect relatif au droit des marques, la Cour d’appel de Paris a finalement prononcé la nullité des marques comprenant le terme LAGUIOLE, à l’exception des cinq premières marques LAGUIOLE déposées en 1993 et 1994 qui ne pouvaient plus être remises en cause en raison de l’autorité de la chose jugée s’attachant à l’arrêt du 3 novembre 1999 de la Cour d’appel de Paris.

Pour parvenir à cette solution, la Cour d’appel s’est fondée sur deux disposition légales distinctes :

  • Tout d’abord, elle a rappelé qu’en vertu de l’article L. 711-1 du Code de la propriété intellectuelle, une marque ne peut être enregistrée qu’à la condition de ne pas porter atteinte à des droits antérieurs tels que le nom, l’image ou la renommée d’une collectivité territoriale.
  • Ensuite, elle a souligné que tout tiers peut revendiquer ou demander la nullité d’une marque déposée en fraude de ses droits, conformément à L. 712-6 du Code de la propriété intellectuelle et du principe « la fraude corrompt tout  ».

Sur la base de ces deux fondements, elle a prononcé la nullité de certaines marques LAGUIOLE dans la mesure où la Société Laguiole exploitait les marques litigieuses pour des produits sans lien de rattachement avec la commune de Laguiole, et ce alors qu’«  une partie de l’argumentaire commercial [de la Société Laguiole] repose sur l’histoire et les légendes de cette commune  ».

La Cour a également souligné « qu’en multipliant les dépôts de marques pour des activités identiques ou similaires à celles de la commune ou de ses administrés et en s’opposant aux dépôts de marques comportant le terme Laguiole par ceux-ci, [la société Laguiole et ses licenciés] avaient porté atteinte aux activités de la commune et l’avaient privée d’un signe nécessaire à celles-ci  ».

Elle en conclut que les actes de la société Laguiole «  s’inscrivaient dans une stratégie commerciale visant à priver [la commune de Laguiole], ou ses administrés […], de l’usage de ce nom nécessaire à leur activité, caractérisant la mauvaise foi [de la Société Laguiole] et entachant de fraude les dépôts effectués  ».

La Société Laguiole a donc bien par ses agissements porté « atteinte au nom de Laguiole […] mais aussi à sa réputation » compte tenu d’une fabrication à l’étranger de produits revêtus des marques LAGUIOLE.

- Concernant l’aspect relatif aux pratiques commerciales trompeuses, la commune de Laguiole reprochait à la Société Laguiole la diffusion d’une communication trompeuse sur l’origine de la fabrication des produits revêtus de la marque LAGUIOLE qui pouvait faire croire au consommateur qu’ils provenaient de la commune de Laguiole.

La Cour d’appel de Paris a toutefois considéré que les agissements de la Société Laguiole n’étaient pas « de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique [du consommateur] en le conduisant à prendre une décision commerciale qu’il n’aurait pas prise autrement  », et ce «  nonobstant l’utilisation critiquable du terme « notre village » ».

Elle se fonde pour cela sur l’absence de « référence expresse à la ville de Laguiole  » et sur la présence d’un texte reproduit sur les sites internet de vente indiquant en substance que les couteaux Laguiole peuvent venir de sites de fabrication étrangers.

Au vu des agissements de la société Laguiole, la Cour l’a condamné à verser la somme de 50 000 d’euros à la commune de Laguiole en réparation de son préjudice moral. Aucune réparation matérielle n’a cependant été retenue en raison de l’absence de démonstration d’un quelconque préjudice, et ce malgré une demande à hauteur de 4 millions d’euros.

La victoire de la commune de Laguiole reste ainsi à relativiser, ce d’autant plus que la société Laguiole a obtenu la validation de cinq de ses marques LAGUIOLE, de sorte qu’elle pourra parfaitement poursuivre l’exploitation de celles-ci.

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