Brevet : Réaffirmation de l’indépendance du conseil en propriété industrielle dans le cadre d’une saisie-contrefaçon

Type

Veille juridique

Date de publication

25 juin 2019

Cass. com. 27 mars 2019 : Le conseil en propriété industrielle (« CPI ») habituel du saisissant peut intervenir à la fois dans le cadre d’un rapport d’expertise privé et d’une saisie-contrefaçon sur le même produit incriminé.

Très souvent, en pratique, et notamment en matière de contentieux de brevet, le CPI habituel du demandeur, qui connait bien le brevet invoqué et le dispositif prétendument contrefaisant, est désigné comme expert pour l’analyse de la contrefaçon alléguée dans le cadre d’une saisie-contrefaçon. Néanmoins, si la désignation de l’expert présente un intérêt majeur pour le titulaire de droit, la question de l’indépendance et de l’impartialité du CPI se pose et a fait l’objet d’un long débat jurisprudentiel tranché en 2005, avant de renaitre récemment à la suite d’un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 27 mars 2018.

Pour rappel, la Cour d’appel de Paris avait annulé en 2005 des opérations de saisie-contrefaçon sur le fondement du défaut d’indépendance du CPI. La Cour de cassation l’avait alors désavoué en retenant que « le conseil en propriété industrielle, fût-il le conseil habituel de la partie saisissante, exerce une profession indépendante, dont le statut est compatible avec sa désignation en qualité d’expert du saisissant dans le cadre d’une saisie-contrefaçon de marque  ».

Par un arrêt du 27 mars 2018, la Cour d’appel de Paris a semblé vouloir revenir sur cette position, peut-être sous l’influence d’un arrêt du 25 janvier 2017 de la Cour de Cassation qui s’était fondé sur le droit à un procès équitable pour écarter le constat d’achat réalisé par un avocat stagiaire travaillant au sein du cabinet d’avocat du demandeur.

Dans la présente affaire commentée, une société anglaise JC BAMFORD EXCAVATORS Ltd, spécialisée dans la conception et la fabrication d’engins, revendiquait être titulaire de deux brevets européens et estimait que la société MANITOU avait reproduit certaines revendications de ses brevets.

Elle avait alors confié à deux CPI la réalisation à titre privé d’un rapport sur une machine MANITOU MT 1840 suspectée d’être contrefaisante.

Dans ce contexte, elle avait obtenu par ordonnance, sur la base de ce rapport, qu’une saisie-contrefaçon soit effectuée par un huissier dans les locaux de la société MANITOU, en présence des deux mêmes CPI ayant réalisé ledit rapport.

La société MANITOU a par la suite formé une demande de rétractation de cette ordonnance en invoquant notamment l’absence d’indépendance des deux CPI.

En première instance, le Tribunal avait fait une stricte application de la position de la Cour de cassation de 2005 en rappelant que du fait de leur statut, les CPI sont autorisés à assister aux opérations de saisie-contrefaçon, et ce même si ce sont les conseils habituels du saisissant.

Contre toute attente, la Cour d’appel avait rétracté l’ordonnance par un arrêt du 27 mars 2018 au motif que le CPI était partial durant les opérations de saisie-contrefaçon compte tenu de son intervention en tant qu’expert privé.

La Cour avait jugé que les CPI ne peuvent, sans qu’il ne soit nécessairement porté atteinte au principe d’impartialité posé par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, être désignés comme experts dans le cadre d’une saisie contrefaçon par l’autorité judiciaire dès lors qu’ils étaient antérieurement intervenus à titre privé pour le compte de l’une des parties sur le brevet en cause.

Cette décision a provoqué l’émoi des CPI puisqu’il empêchait le CPI habituel du titulaire de brevet de pouvoir assister l’huissier lors de saisies-contrefaçon.

Les groupements professionnels de CPI (la CNCPI et l’ACPI) sont alors intervenus volontairement dans la procédure au soutien du pourvoi formé par la société JC BAMFORD EXCAVATORS.

La Cour de cassation a finalement cassé l’arrêt de la Cour d’appel le 27 mars 2019 au motif que la mission du CPI n’est pas «  soumise au devoir d’impartialité » et qu’elle «  ne constitue pas une expertise au sens des articles 232 et s. du CPC  ». Elle retenait dès lors que l’établissement d’un rapport à titre privé par un CPI ne fait pas obstacle à sa désignation ultérieure en qualité d’expert pour assister l’huissier lors de la saisie-contrefaçon.

La Cour de cassation réaffirme donc de manière explicite sa position de 2005 et lui confère une large portée en prévoyant la publication de cet arrêt et son analyse lors du rapport annuel de la Cour de cassation.

Newsletter

Souscrivez à notre newsletter pour être informé de nos actualités