AOP : l’évocation illicite peut résulter d’éléments purement graphiques

Type

Veille juridique

Date de publication

28 octobre 2019

Cour de justice de l’Union Européenne, 2 mai 2019, aff. C-614/17

La décision rendue par la Cour de Justice de l’Union Européenne le 2 mai 2019 témoigne, une fois n’est pas coutume, de l’extrême protection dont bénéficient les appellations d’origine protégée (AOP).

Dans cette affaire, la fondation en charge de la gestion de l’AOP « Queso Manchego », fromages fabriqués dans la région de la Mancha en Espagne, contestait la licéité de la commercialisation de fromages ne bénéficiant pas de cette appellation et présentant sur leur étiquette des moulins à vent, des brebis, et Don Quijotte de la Mancha sur son cheval amaigri, célèbre personnage du roman de Cervantes. La fondation soutenait que cette étiquette constituait une évocation illicite de l’AOP qu’elle défendait.

Si de nombreuses affaires ont déjà amené les juridictions à se prononcer sur l’évocation d’une appellation dans la dénomination verbale de produits n’en bénéficiant pas, la Cour n’avait pas jusqu’à présent eu à se prononcer sur l’évocation d’une appellation par l’intermédiaire du seul visuel apposé sur des produits.

La Cour rappelle que la protection des AOP a pour objectif de protéger le consommateur grâce à une information claire, brève et crédible. Elle ajoute que l’évocation n’est illicite que s’il existe un lien suffisamment direct et univoque dans l’esprit du consommateur de l’Etat membre producteur entre l’élément litigieux et la dénomination protégée et que cette évocation peut tout à fait résulter d’éléments figuratifs.

Selon la Cour, le juge national doit tenir compte de l’ensemble des éléments présents sur l’étiquette du produit ne bénéficiant pas de l’appellation, qu’ils soient verbaux ou figuratifs, pour déterminer la proximité conceptuelle avec l’appellation. Ce faisant, elle admet que l’évocation d’une appellation peut résulter d’un élément purement visuel, puisque la dénomination du produit litigieux n’était pas contestée.

En l’occurrence, le juge national devra tenir compte de la représentation du personnage de Don Quijotte de la Mancha, d’un cheval maigre et des paysages avec des moulins à vent et des brebis, afin de déterminer si ces éléments sont de nature à évoquer l’appellation « Queso Manchego » et la zone géographique qu’elle recouvre, à savoir la région de la Mancha. La présente affaire est atypique puisqu’à l’occasion de l’analyse du caractère évocateur des visuels, le juge national sera contraint d’apprécier l’importance de la notoriété du roman de Cervantes, et de son personnage principal, afin de déterminer dans quelle mesure le consommateur le reconnaît et l’associe à la région de la Mancha. En toute hypothèse, l’usage de ce personnage emblématique ne semble pas anodin au regard de l’AOP en cause, et s’il n’évoque pas l’appellation, il évoque certainement l’œuvre littéraire ce qui prêtera sûrement à discussion.

La Cour de justice précise également que le fait que le producteur soit situé dans l’aire géographique correspondant à celle couverte par l’AOP ne l’autorise pas à évoquer cette appellation pour des produits similaires. L’évocation constituerait tout autant un détournement de l’appellation puisque, même si les produits provenaient de la même zone géographique, celle-ci ferait profiter indûment de sa réputation.

Cette décision confirme la tendance de protection très étendue des appellations et il convient donc d’être très attentif au choix des étiquettes apposées sur des produits afin d’éviter toute évocation d’une appellation d’origine, que ce soit par le biais d’une dénomination verbale ou d’éléments graphiques.

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