Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois : Nouvel exemple de cumul de procédures refusé par la Cour européenne des droits de l’homme

Type

Droit Pénal

Date de publication

30 septembre 2015

UNE PERSONNE ACQUITTÉE PAR LES JURIDICTIONS PÉNALES POUR DES FAITS DE CONTREBANDE NE PEUT ÊTRE CONDAMNÉE À UNE AMENDE ADMINISTRATIVE, DOUANIÈRE OU FISCALE POUR LES MÊMES FAITS. – CEDH, 30 AVRIL 2015, KAPETANIOS ET AUTRES C. GRÈCE, N°3453/12

Par un arrêt du 30 avril dernier, la Cour européenne des droits de l’homme a fait droit à la requête de plusieurs ressortissants grecs en condamnant la Grèce pour violation du principe non bis in idem.

Ce principe fondamental consacre l’interdiction de condamner ou de poursuivre une même personne pour des faits pour lesquels celle-ci a déjà été condamnée, ou innocentée.

Une série d’affaires étaient soumises à la Cour européenne, dans lesquelles plusieurs personnes furent accusées d’avoir importé illégalement pour certains des appareils électroniques et un treuil, pour d’autres de l’essence et du gazole ou encore une voiture de luxe.

Chacun des requérants avait fait l’objet de poursuites pénales pour contrebande et qui s’étaient soldées par un acquittement de chacun des requérants pour l’ensemble des faits. Les différentes décisions étant par la suite devenues définitives et irrévocables.

Pour autant, chacun des requérants fut condamné au paiement d’amendes administrative pour l’un, douanière pour le second et fiscale pour le troisième, ce pour avoir illégalement importé lesdits objets sans payer les droits de douanes ou les taxes fiscales applicables.

N’ayant pu obtenir l’annulation de ces dernières condamnations devant les juridictions grecques, les requérants se sont tournés vers la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement du principe non bis in idem, en raison du caractère identique des faits à l’origine des premières poursuites pénales ayant donné lieu à la reconnaissance de leur innocence et des faits à l’origine des amendes administrative, douanière ou fiscale.

Les requérants ont été entendus par les Juges de Strasbourg puisque la Cour européenne a constaté la violation par l’État Grec de l’article 4 du Protocole n°7 prévoyant l’interdiction de juger ou de punir pénalement une personne en raison d’une infraction pour laquelle elle a déjà été acquittée ou condamnée par un jugement définitif rendu par une juridiction du même État.
Cet arrêt revient sur une problématique régulièrement soulevée en France, à savoir la question du cumul entre les sanctions pénales et les sanctions administratives, disciplinaires, boursières, douanières ou fiscales.

Il a longtemps été de principe en droit français que le cumul entre les différentes sanctions était possible du fait des objectifs distincts poursuivis par les différentes sanctions d’une part, et de l’indépendance des juridictions d’autre part.

Toutefois, un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme le 4 mars 2014, dans une affaire Grande Stevens c/ Italie, a entrainé un profond bouleversement, les juges de Strasbourg ayant condamné l’Italie à raison de la double sanction, administrative et pénale, d’une infraction boursière.
Il doit être souligné qu’à l’instar de la France, l’Italie avait émis une réserve lors de la ratification du Protocole n°7 relative à l’application de l’article 4 en restreignant son champ d’application aux seules sanctions qualifiées de pénales par la loi italienne.

Toutefois, la Cour européenne des droits de l’homme a écarté la réserve émise par l’Italie au motif qu’elle ne comportait pas le bref exposé de la loi italienne pertinente prévu par le texte.

La réserve émise par la France ne comporte pas non plus d’exposé de la législation pertinente et se borne à prévoir que « seules les infractions relevant en droit français de la compétence des tribunaux statuant en matière pénale doivent être regardées comme des infractions au sens des articles 2 à 4 du présent Protocole ».

Comme attendu, le Conseil constitutionnel a été saisi dès le 17 décembre 2014 d’une question prioritaire de constitutionnalité relative au cumul entre délit d’initié réprimé par le juge pénal et manquement d’initié réprimé par la Commission des sanctions de l’AMF.

Par sa décision du 19 mars 2015, dont il était fait état dans notre précédente newsletter, le Conseil constitutionnel a constaté que les sanctions du délit d’initié et du manquement d’initié ne pouvaient être regardées comme de natures différentes, et a en conséquence déclaré ces dispositions contraires à la Constitution.

A la lumière du nouvel arrêt rendu le 30 avril 2015 par la Cour européenne, il est probable que le principe de cumul qui demeure toujours appliqué en France soit amené à évoluer.

En effet, après l’arrêt du 4 mars 2014 qui concernait une sanction boursière, la condamnation de la Grèce retient la violation du principe non bis in idem pour le cumul d’une sanction pénale tant avec une sanction administrative que fiscale et douanière.

Ce mouvement de rationalisation des incriminations et de la répression pourrait donc s’accélérer, la question restant de savoir s’il s’accompagnera également d’un mouvement de dépénalisation, c’est-à-dire d’une suppression progressive des infractions prévues et réprimées par le Code pénal pour ne conserver que les seuls infractions boursières, fiscales ou administratives.

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