Droit à ne pas être jugé ou puni deux fois : un cumul possible si les intérêts protégés sont distincts

Type

Droit Pénal

Date de publication

27 janvier 2016

A REBOURS DES RÉCENTES DÉCISIONS DE LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME, LA COUR DE CASSATION ADMET LE CUMUL DES SANCTIONS POUR DÉNONCIATION CALOMNIEUSE ET PROCÉDURE ABUSIVE

CASS, CRIM. 22 Septembre 2015, n°14-84029

Le principe non bis in idem protège les personnes contre le risque de se voir condamner plusieurs fois pour les mêmes faits. Toutefois, avec constance, la jurisprudence française considère que ce principe ne s’applique pas lorsque les intérêts protégés sont distincts, la question étant alors de distinguer les intérêts protégés par les textes d’incrimination.

Toute infraction pénale, et plus généralement toute sanction prévue par la loi, a en effet pour raison d’être la préservation de valeurs apparaissant comme essentielles à la vie en société, telles que la propriété, la dignité ou encore en l’espèce la bonne administration de la justice. Cette distinction est critiquable puisqu’il en résulte qu’il pourrait y avoir autant de sanctions distinctes que de raison de punir.

Cette distinction, somme toute passablement abstraite et potentiellement infinie, est également contraire à l’esprit de la Convention européenne des droits de l’homme, laquelle prohibe le cumul de sanctions qui trouveraient leur origine dans les mêmes faits. Cette position a été rappelée au cours de l’année 2015, concernant la prohibition du cumul entre sanctions fiscale ou boursières, et sanctions pénales (CEDH, 30 avril 2015, Kapetanios et autres c. Grèce, n°3453/12, voir notre Newsletter Septembre 2015).

En l’espèce, une femme avait déposé une plainte avec constitution de partie civile pour abus de confiance et escroquerie. Une ordonnance de non-lieu avait ensuite été rendue, le juge d’instruction considérant que les faits dénoncés avaient été imaginés par la plaignante, et condamnait en outre celle-ci à une amende civile pour procédure abusive.

Par la suite, la personne qui avait été mise en cause fit citer directement la déposante devant le Tribunal correctionnel du chef de dénonciation calomnieuse, lequel entra en voie de condamnation.

S’étant pourvue en cassation, la prévenue contestait la possibilité de se voir à la fois infliger une amende civile pour procédure abusive et une sanction pénale pour dénonciation calomnieuse. La Cour de cassation rejette le pourvoi considérant que les intérêts protégés par ces articles sont bien distincts, le premier sanctionnant une atteinte à une bonne administration de la justice tandis que le second réprime un comportement destiné à nuire à autrui.

Cette décision, qui s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence constante de la Cour de cassation des 50 dernières années, s’inscrit pourtant en opposition totale avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Les juges européens ont en effet retenu expressément, dans un arrêt de Grande Chambre rendu le 10 février 2009, que « l’approche qui privilégie la qualification juridique des deux infractions est trop restrictive (…) [et] risque d’affaiblir la garantie consacrée par l’article 4 du Protocole n°7 et non de la rendre concrète et effective comme le requiert la Convention » (CEDH, gr. ch., 10 février 2009, Sergueï Zolotoukhine c. Russie, n°14939/03, § 81).

La Cour de cassation résiste ainsi toujours sur la question du cumul de sanction à la position des juges européens de Strasbourg, alors même que le Conseil constitutionnel déclarait inconstitutionnel le cumul des sanctions, fiscale du manquement d’initié et pénale du délit d’initié, dans une décision fortement commentée du 18 mars 2015 (QPC du 18 MARS 2015 n°2015-462, voir notre Newsletter Mai 2015)

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