La France condamnée pour atteinte au droit à un procès équitable et à la liberté d’expression d’un journaliste

Type

Droit Pénal

Date de publication

13 septembre 2016

L’application trop restrictive des règles de procédure et l’absence de contrôle de la proportionnalité de l’ingérence dans le droit à la liberté d’expression d’un journaliste constituent une violation de la Convention européenne des droits de l’Homme

CEDH, 12 JUILLET 2016, N°50147/11, REICHMAN C. FRANCE

Un animateur radio, condamné par le Tribunal correctionnel pour diffamation publique, avait interjeté appel de sa condamnation. Avant même de connaître la décision de cette seconde juridiction, c’est-à-dire entre l’audience de plaidoirie et la délibéré, ledit animateur avait remis à son avocat un pouvoir spécial autorisant ce dernier à former un pourvoi en cassation contre l’arrêt qui serait rendu par la Cour d’appel.

L’arrêt de la Cour d’appel, rendu postérieurement, ayant confirmé la première décision de condamnation, l’avocat de l’animateur avait formé dans les délais impartis un pourvoi devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

Or, considérant que le mandat pour agir en cassation « visant une décision de justice non encore prononcée, partant indéterminée, ne saurait constituer un pouvoir spécial au sens de l’article 576 du Code de procédure pénale », la Chambre criminelle concluait que le pourvoi ainsi formé était irrecevable (Cass. Crim. 1er mars 2011, n°10-83.903).

Saisie d’un recours, la Cour européenne des droits de l’Homme a rendu le 12 juillet dernier une décision doublement intéressante.

D’une part, s’agissant de la position particulièrement stricte adoptée par la Chambre criminelle, la CEDH a considéré que le formalisme excessif exigé par la Cour de cassation avait porté une atteinte disproportionnée au droit du requérant à un procès équitable, dès lors que sa volonté de se pourvoir en cassation en cas de condamnation résultait clairement de la lettre du pouvoir spécial qu’il avait signé. La Cour européenne a considéré que l’atteinte au droit à un procès équitable était d’autant plus manifeste que le délai pour former un pourvoi en matière pénale n’est que de 5 jours francs.

Cette solution rejoint des précédentes décisions dans lesquelles la CEDH avait jugé que si l’existence de règles de procédure était justifiée par l’objectif de bonne administration de la justice, une application et une interprétation trop restrictive de ces règles pouvaient conduire à porter atteinte au droit d’accès à un tribunal, garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.

D’autre part, la CEDH était invitée à se prononcer sur la conventionalité de la condamnation pénale de cet animateur radio pour diffamation publique.

L’affaire remonte au décès de Jean Ferré, fondateur et président de Radio Courtoisie. Le requérant avait raconté à l’antenne le déroulement d’une réunion du Conseil d’administration durant laquelle le nouveau vice-président aurait empêché, avec le concours de vigiles, les participants de s’exprimer et décidé de définir seul la ligne éditoriale de la station. Il avait ajouté que les difficultés financières de la radio avaient donné lieu à des « comportements dont l’orthodoxie demande à être vérifiée ».

Pour la Cour européenne, c’est l’occasion de rappeler que la liberté de la presse joue un rôle fondamental et essentiel dans le bon fonctionnement d’une société démocratique et que toute ingérence doit être justifiée, légitime et proportionnée à l’objectif poursuivi.

Ainsi, si la liberté de la presse comporte des limites, notamment la protection de la réputation et des droits d’autrui, il lui incombe de communiquer des informations et des idées sur toutes questions d’intérêts général – dont font indiscutablement parties les conditions dans lesquelles la ligne éditoriale d’un média est décidée.

Rappelant que la condamnation pénale « est l’une des formes les plus graves d’ingérence dans le droit à la liberté d’expression, eu égard à l’existence d’autres moyens d’intervention et de réfutation » et comporte en elle-même « un caractère dissuasif quant à l’exercice de la liberté d’expression », la Cour européenne retient que, eu égards aux circonstances de l’espèce et à la nature des propos de l’animateur, la condamnation était disproportionnée au regard de l’atteinte qu’elle portait à liberté d’expression et à la liberté de la presse.

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