La responsabilité des marketplaces en tant que prestataires intermédiaires

Type

Veille juridique

Date de publication

30 juin 2020

CJUE 2 avril 2020, C-567-18 (Coty Germany c/ Amazon Services Europe) TJ de Paris, 3ème chambre, 10 janvier 2020, RG n°18/00171 (LAFUMA Mobilier SAS c/ Alibaba France et autres)

Les places de marché ou « Marketplace », qui consistent en des plateformes sur Internet mettant en relation des acheteurs et des vendeurs (particuliers ou professionnels), connaissent un succès grandissant et sont parfois utilisées pour offrir à la vente des produits contrefaisants.

Les juridictions nationales et européennes ont eu l’occasion de revenir récemment sur la responsabilité de ces plateformes en ligne, avec un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (« CJUE ») dans une affaire opposant la société COTY au géant AMAZON et un jugement du Tribunal judiciaire dans une affaire LAFUMA contre ALIBABA.

  • Dans l’affaire Coty c/ Amazon, la CJUE est venue préciser le régime d’une société entreposant des produits contrefaisants, en toute ignorance de cause.

La société de droit allemand COTY GERMANY commercialise des produits cosmétiques sous la marque « DAVIDOFF » en Allemagne dans le cadre d’une licence. Elle a constaté la commercialisation de parfums DAVIDOFF par une société tierce sur la plateforme d’AMAZON, étant précisé que cette société utilisait également le service de stockage des produits offerts par AMAZON.

La société COTY GERMANY a donc agi à l’encontre de la société AMAZON en charge de la gestion de la marketplace ainsi que de celle assurant le stockage des produits en leur reprochant d’avoir pris part, sans autorisation, à la vente de produits contrefaisants.

Après avoir échoué à obtenir la condamnation d’AMAZON en première instance et en appel, la société COTY GERMANY a formé un pourvoi devant la Haute juridiction allemande. Celle-ci a alors adressé une question préjudicielle à la CJUE notamment afin de savoir si une société qui entrepose pour un tiers des produits portant atteinte à une marque sans avoir connaissance de cette atteinte doit être considérée comme détenant ces produits aux fins de leur commercialisation, dès lors que cette société ne poursuit pas elle-même cette finalité.

Dans ses conclusions, l’avocat général avait fait preuve d’une certaine audace en déclarant qu’il était « possible de considérer que cette personne stocke ces produits aux fins de leur offre ou de leur mise sur le marché si elle s’implique activement dans leur distribution  », ouvrant ainsi la voie à une possible responsabilité d’AMAZON en tant que société offrant un service de stockage.

La CJUE ne s’est toutefois pas rangée à l’avis de l’avocat général et a écarté toute responsabilité des sociétés AMAZON en retenant qu’«  une personne qui entrepose pour un tiers des produits portant atteinte à un droit de marque sans avoir connaissance de cette atteinte doit être considérée comme ne détenant pas ces produits aux fins de leur offre ou de leur mise dans le commerce dès lors que cette personne ne poursuit pas elle-même ces finalités  ».

La CJUE rappelle enfin dans cet arrêt les fondements permettant d’agir à l’encontre des marketplaces en fonction de leur rôle d’éditeur impliquant une intervention dans les annonces publiées ou de simple hébergeur ignorant le contenu des annonces et ne pouvant dès lors voir sa responsabilité engagée, sauf en cas d’absence de retrait du contenu litigieux après une notification du titulaire des droits.

  • A cet égard, le Tribunal judiciaire de Paris a justement rendu un jugement le 8 janvier 2020 dans lequel il retient la responsabilité de la marketplace ALIBABA en qualité d’hébergeur.

Dans cette affaire, la société LAFUMA MOBILIER a constaté en juin 2017 la vente sur la marketplace d’ALIBABA de fauteuils constituant selon elle la copie de ceux qu’elle commercialise sous la marque « LAFUMA ».

A la suite de plusieurs notifications et d’une mise en demeure infructueuse de retirer les annonces litigieuses, une procédure en référé a été initiée par la société LAFUMA MOBILIER. Une première ordonnance de référé du 21 novembre 2017 a fait injonction à la société ALIBABA de retirer les annonces litigieuses. La Cour d’appel de Paris a par la suite infirmé cette ordonnance le 25 janvier 2019 en considérant qu’elle était en présence d’une contestation sérieuse.

A la suite de cette procédure en référé, la société LAFUMA MOBILIER a assigné au fond plusieurs sociétés du groupe ALIBABA afin notamment de faire condamner les sociétés ALIBABA pour contrefaçon des marques LAFUMA, ainsi que d’obtenir la cessation de tout usage du signe « LAFUMA » sur les sites internet d’ALIBABA et la suppression des annonces litigieuses.

Dans son jugement, le Tribunal a tout d’abord rappelé que « la qualification de la contrefaçon suppose l’usage par le contrefacteur de signes déposés (…) à titre commercial et pour les besoins de son activité commerciale » et a relevé qu’une «  place de marché qui permet seulement à ses clients de faire apparaitre au sein d’annonces des signes déposés (…) ne fait pas une utilisation illicite du signe. »

Il a alors écarté la qualification de contrefaçon au titre du droit des marques et indiqué que les faits devaient être examinés au regard de la responsabilité des prestataires intermédiaires.

Le Tribunal a ainsi recherché « si les sociétés Alibaba sont intervenues de manière pro- active et intellectuelle au stade de la rédaction et de la sélection des contenus des offres litigieuses reproduisant les marques Lafuma [rôle d’éditeur], ou si elles peuvent bénéficier du régime de responsabilité atténuée [rôle d’hébergeur] ».

Le Tribunal a constaté que les sociétés ALIBABA n’ont pas la qualité d’éditeur. Les services proposés sur la plateforme sont inhérents aux places de marché et n’ont « qu’une finalité technique et logistique, pour permettre le fonctionnement du site et garantir à l’internaute, grâce à la structure et l’organisation du site et ses fonctionnalités d’y trouver ce qu’il cherche ».

Le Tribunal a donc retenu la qualité d’hébergeur pour la marketplace des sociétés ALIBABA. Comme le Tribunal l’a rappelé, en vertu de l’article 6-I-7 de la loi LCEN, l’hébergeur n’est pas soumis à une obligation générale de surveillance des informations qu’il transmet ou stocke, ni même à une obligation générale de recherche des circonstances relevant des activités illicites. Ainsi, il n’engage sa responsabilité que si, ayant eu connaissance du contenu illicite, il ne procède pas « promptement » au retrait de ce dernier.

S’agissant de la responsabilité des sociétés ALIBABA en tant qu’hébergeur, le Tribunal a constaté que les sociétés ALIBABA n’ont procédé au retrait des annonces litigieuses que dans un délai de 3 mois sous la pression d’une procédure en référé, de sorte que le retrait n’a pas été effectué promptement.

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