Les importants changements procéduraux concernant les actions en nullité et déchéance de marque

Type

Veille juridique

Date de publication

16 janvier 2020

La réforme comporte des changements majeurs d’un point de vue procédural en confiant à l’INPI une partie du contentieux actuel en nullité et en déchéance des marques, dont seuls les tribunaux spécialisés de l’ordre judiciaire pouvaient être saisis jusqu’alors. L’ordonnance instaure en effet une procédure administrative en déchéance et en nullité de marques, qui se veut plus rapide et moins couteuse.

Les nouvelles dispositions relatives aux procédures de nullité et de déchéance entreront en vigueur le 1er avril 2020.

  • S’agissant de la répartition de compétence :

Le nouvel article L 716-5 – I du CPI prévoit une compétence exclusive de l’INPI pour :

  • les actions en déchéance engagées à titre principal (quels qu’en soient les motifs)
  • et pour les actions en nullité engagées à titre principal et exclusivement fondées sur :
    • sur un ou plusieurs des motifs absolus de nullité (notamment, marques non distinctives, contraires à l’ordre public, trompeuses, déposées de mauvaise foi)
    • sur un ou plusieurs des motifs relatifs (marque portant atteinte à un droit antérieur et notamment à une autre marque, à une dénomination ou nom commercial, une enseigne ou un nom de domaine)

Le nouvel article L 716-5-II prévoit quant à lui la compétence exclusive des tribunaux spécialisés de l’ordre judiciaire pour les autres actions civiles y compris lorsqu’elles portent également sur une question connexe de concurrence déloyale.

Il en va de même des demandes en nullité formées même à titre principal, fondées sur l’atteinte à des droits d’auteur antérieurs, ou à ceux résultant d’un dessin et modèle protégé ou encore de la personnalité d’un tiers. Ainsi, les tribunaux restent seuls compétents pour statuer sur des droits antérieurs dont la création, la validité et les contours ne dépendent pas d’une procédure administrative de dépôt mais implique d’en apprécier la portée (comme celle de l’originalité en droits d’auteur).

La compétence exclusive des tribunaux s’étend également :

  • aux demandes en nullité et en déchéance (quel que soit le motif invoqué) «  formées à titre principal ou reconventionnel par les parties de façon connexe à tout autre demande relevant de la compétence du tribunal » et notamment à l’occasion d’une action en contrefaçon ou une action en concurrence déloyale.
  • aux demandes en nullité et en déchéance formées «  alors que, soit des mesures probatoires, soit des mesures provisoires ou conservatoires ordonnées afin de faire cesser une atteinte à un droit de marque, sont en cours d’exécution avant l’engagement d’une action au fond. »

La mention relative aux « mesures probatoires » vise notamment le cas d’une saisie-contrefaçon. Toutefois, on peut regretter que la compétence du Tribunal ne soit prévue que pour le cas où cette mesure serait « en cours d’exécution » ce qui laisse entrevoir des difficultés d’interprétation.

La phase précontentieuse n’est pas envisagée par les textes. Ainsi, après l’envoi d’une lettre de mise en demeure entre les parties, l’INPI pourra seul être saisi pour statuer sur les demandes principales en nullité ou déchéance relevant de sa compétence. Cela permet au « futur » défendeur à l’action en contrefaçon, prévenu du risque de faire l’objet d’une telle action, de saisir l’INPI d’une action en nullité ou déchéance de la marque antérieure et ainsi de bloquer l’action en contrefaçon sur le point d’être engagée.

Le décret dans une nouvelle « Sous-section 3 » intitulée « Articulation entre les procédures judiciaires et administratives  » prévoit dans un nouvel article R. 716-14 un seul cas de sursis à statuer, de surcroît facultatif, pouvant être prononcé par le Tribunal jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue, s’il se trouve saisi d’une demande reconventionnelle en nullité ou déchéance postérieurement à une demande formée «  entre les mêmes parties et pour les mêmes faits  » devant l’INPI.

Le décret, au titre des garanties d’indépendance de l’INPI, prévoit enfin qu’un examinateur qui a déjà jugé de la marque dans la procédure d’examen ou d’opposition ne peut statuer sur la même marque en matière de nullité ou de déchéance (article R. 716-4).

  • Le contentieux des actions en nullité et déchéance (article L 716-1 et suivants)

L’ordonnance a créé au sein de la partie législative du CPI une section spécifique relative au contentieux de la nullité et de la déchéance.

Au sein des dispositions communes à la « procédure administrative en nullité et en déchéance  », l’article L 716-1 en son alinéa 4 institue la règle en vertu de laquelle le silence vaut rejet. Ainsi la demande en nullité ou en déchéance « est réputée rejetée si le directeur général de l’Institut n’a pas statué dans le délai, fixé par décret en Conseil d’Etat, qui court à compter de la date de fin de cette phase d’instruction. » soit 3 mois à l’issu de la phase d’instruction conformément à l’article R 716-8.

A l’instar des frais de procédure pouvant être alloués par les tribunaux au titre de l’article 700 du CPC, le nouvel article L 716-1-1 du CPI permet à l’INPI de mettre à la charge de la partie perdante tout ou partie des frais exposés par l’autre partie, mais toutefois dans la limite d’un barème fixé par arrêté.

Il est à noter qu’en vertu du dernier alinéa de l’article R 716-1 une demande en nullité ou en déchéance ne pourra après avoir été formée « être étendue à d’autres motifs ou d’autres produits ou services que ceux invoqués ou visés dans la demande initiale. »

L’ordonnance ne contient aucune disposition sur l’examen par l’INPI de l’intérêt à agir, en déchéance ou en nullité d’une marque. L’intérêt à agir sera en revanche toujours examiné par les tribunaux conformément à l’article 31 du CPC et aux articles L. 716-2 et L 716-3 du CPI qui disposent que si les actions en nullité ou en déchéance introduites devant l’INPI le seront « par toute personne physique ou morale », elles seront en revanche introduites devant les tribunaux « par toute personne intéressée ».

Au sein de la sous-section spécifiquement consacrée à la nullité de la marque, l’ordonnance prévoit la possibilité de former une demande en nullité fondée sur un ou plusieurs motifs et sur plusieurs droits antérieurs sous réserve de leur appartenance au même titulaire (article L 716-2-1 alinéa 2).

Par ailleurs, le non usage et le défaut de caractère distinctif de la marque antérieure deviennent des moyens de défense.

Ainsi, il résulte désormais du nouvel article L 716-2-3 que la demande en nullité est irrecevable si le titulaire de la marque antérieure enregistrée depuis plus de 5 ans, n’est pas en mesure de faire la preuve (sur requête du titulaire de la marque postérieure) de l’usage sérieux de sa marque pour les produits et services invoqués à l’appui de la demande. Deux périodes sont concernées :

  • les 5 années précédant la demande de nullité (1°)
  • ou les 5 années précédant la date de dépôt de la marque contestée (2°) si la marque antérieure fondant la demande en nullité a été enregistrée depuis plus de 5 ans avant la date de dépôt.

La démonstration de l’usage sérieux concernant cette seconde période peut apparaitre sévère si la marque antérieure est exploitée de façon sérieuse au jour de la demande en nullité.

En effet, en rapprochant, cette disposition avec le caractère imprescriptible de l’action en nullité (nouvel article L 716-2-6), on peut craindre que le titulaire de la marque antérieure ne soit amené à rapporter la preuve d’un usage remontant à une ou plusieurs décennies, ce qui est susceptible de constituer une difficulté pratique parfois insurmontable pour les entreprises.

Certes, il existe la forclusion par tolérance prévue à l’article L 716-2-8 qui rend irrecevable l’action en nullité engagée par le titulaire d’un droit antérieur qui a toléré l’usage d’une marque postérieure enregistrée pendant une période de cinq années consécutives en connaissance de cet usage. Toutefois il apparait souvent particulièrement difficile de prouver cette connaissance de l’usage de la marque postérieure.

Le nouvel article L 716-2-4 dispose enfin que la demande en nullité fondée sur une marque antérieure est irrecevable si cette marque est dépourvue de caractère distinctif à la date de dépôt de la marque postérieure et n’avait pas acquis ce caractère distinctif à cette date. L’examen de la distinctivité de la marque antérieure ne devrait pas relever d’un examen d’office de l’INPI puisque le texte subordonne le prononcé de l’irrecevabilité à la demande qui en est faite par le titulaire de la marque postérieure.

Il est à noter que des dispositions transitoires sont prévues concernant ces dispositions, les articles L716-2-3 et L 716-2-4 étant « applicables aux instances introduites à compter de l’entrée en vigueur » de l’ordonnance, soit depuis le 11 décembre dernier.

  • S’agissant des recours contre les décisions rendues par l’INPI en matière de déchéance ou nullité de marque :

Actuellement les recours formés devant la cour d’appel contre les décisions rendues par l’INPI dans les procédures d’opposition sont des recours en annulation, sans effet dévolutif (les parties ne peuvent invoquer ni moyens, ni pièces qui n’auraient pas été soumis à l’INPI).

L’ordonnance prévoit dans un article L 411-4 que les recours exercés contre les décisions rendues par le directeur de l’INPI statuant sur les demandes en nullité ou en déchéance de marques « sont suspensifs ».

Le décret apporte davantage de clarté en précisant dans un nouvel article R. 411-19 que si les recours exercés à l’encontre des décisions statuant sur la délivrance, le rejet ou le maintien des titres de propriété industrielle sont et restent donc des recours en annulation, les recours exercés à l’encontre des décisions rendues en matière de déchéance ou de nullité de marques « sont des recours en réformation. Ils défèrent à la cour la connaissance de l’entier litige. La cour statue en fait et en droit. »

Par ailleurs, le nouvel article R. 411-38 ajoute expressément que les parties peuvent invoquer des moyens nouveaux, produire de nouvelles pièces ou proposer de nouvelles preuves.

Bien que le Directeur général de l’INPI ne soit pas une partie à l’instance comme en dispose l’article R. 411-23, il est néanmoins prévu que la cour d’appel ne peut statuer qu’ après qu’il ait été mis en mesure de présenter des observations écrites ou orales (article R. 411-23) et que le pourvoi en cassation à l’encontre des décisions rendues par la cour lui est ouvert comme aux parties (article L 411-4).

La procédure de recours devant la Cour d’appel est encadrée par le décret aux articles R 411-19 à R 411-43 du CPI. Il est à noter que la représentation par avocat est obligatoire conformément à l’article R 411-22.

  • Imprescriptibilité des actions en nullité :

L’imprescriptibilité des actions en nullité de marques est désormais consacrée par l’article L 716-2-6 du CPI qui dispose que « l’action ou la demande en nullité n’est soumise à aucun délai de prescription  ».

Les dispositions transitoires prévues pour la mise en œuvre de cet article précisent que :

  • l’ article L. 716-2-6, entre en vigueur à la date d’entrée en vigueur du décret pris pour application de l’ordonnance, soit le 11 décembre dernier ;
  • et que l’article L. 716-2-6, « est sans effet sur les décisions ayant force de chose jugée au 23 mai 2019  » (soit, la date d’entrée en vigueur de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises – dite « Loi Pacte »- qui avait introduit la règle de l’imprescriptibilité des actions en nullité pour tous les droits de propriété industrielle)

L’application immédiate de la règle de l’imprescriptibilité aux litiges en cours laisse entrevoir quelques incertitudes et donnera assurément lieu à des débats qui seront tranchés par la jurisprudence. En effet les dispositions transitoires de la loi Pacte comme celles de l’ordonnance n’opèrent aucun renvoi, ni ne prévoient aucune dérogation expresse au droit commun transitoire, à savoir l’article 2222 du code civil qui institue le principe de la non-rétroactivité de la loi nouvelle (« La loi qui allonge la durée d’une prescription ou d’un délai de forclusion est sans effet sur une prescription ou une forclusion acquise. ») Il est dès lors possible que de nombreuses actions en nullité soient encore déclarées comme étant prescrites.

Nonobstant la règle de l’imprescriptibilité, les textes maintiennent les délais de 5 ans suivants :

  • l’ action en nullité introduite par le titulaire d’une marque notoirement connue au sens de la convention de Paris se prescrit par cinq ans à compter de la date d’enregistrement, à moins que ce dernier n’ait été demandé de mauvaise foi (Article L 716-2-7).
  • le délai de 5 ans de la forclusion par tolérance pour l’action en nullité de marque est bien entendu maintenu : Ainsi il résulte de l’article L716-2-8 que le titulaire d’un droit antérieur qui a toléré pendant une période de cinq années consécutives l’usage d’une marque postérieure enregistrée en connaissance de cet usage n’est plus recevable à demander la nullité de la marque postérieure pour les produits ou les services pour lesquels l’usage de la marque a été toléré, à moins que l’enregistrement de celle-ci ait été demandé de mauvaise foi.
  • Enfin, si l’action en contrefaçon se prescrit toujours par 5 ans, le nouvel article L 716-4-2 en son dernier alinéa précise que le point de départ de ce délai doit être fixé au : « jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer  ». Cette modification du point de départ du délai de prescription de l’action en contrefaçon qui était déjà intervenue avec la loi Pacte, est susceptible d’aboutir pour les infractions continues à une quasi-imprescriptibilité.
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