Les mesures proposées par le projet de loi PACTE en matière de prescription des actions en contrefaçon et nullité des titres de propriété industrielle : état des lieux et analyse critique

Type

Veille juridique

Date de publication

5 avril 2019

Le 15 mars 2019, le projet de loi relatif à la Croissance et la Transformation des Entreprises (PACTE) a été adopté en seconde lecture à l’Assemblée Nationale. A cette occasion, les députés ont adopté un article 42 quinquiès introduit et voté en première lecture au Sénat qui propose (i) d’harmoniser les règles de prescription de l’action en contrefaçon avec le droit commun des prescriptions et de (ii) consacrer l’imprescriptibilité des actions en nullité des titres de propriété industrielle.

1. Sur le point de départ de la prescription de cinq ans des actions en contrefaçon

L’article 42 quinquiès se propose tout d’abord de retenir un seul et même point de départ de la prescription de l’action en contrefaçon, quel que soit le droit de propriété industrielle invoqué. En cela il met fin aux incertitudes engendrées par la loi du 11 mars 2014.

En effet, avant l’entrée en vigueur de cette loi, les actions en contrefaçon se prescrivaient par trois ans à compter des faits qui en étaient la cause. Ce sont donc ces faits, objectivement identifiables, qui marquaient le point de départ de la prescription, étant entendu que chaque nouvel acte de contrefaçon faisait courir à nouveau le délai de prescription.

La loi du 11 mars 2014 a souhaité allonger ce délai de prescription à cinq ans et l’aligner sur le délai de droit commun des prescriptions des actions civiles [1], de sorte qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi les actions en contrefaçon auraient dû se prescrire par cinq ans « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurai dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer ».

La loi proposait donc, dès 2014, de faire courir le point de départ de la prescription des actions en contrefaçon à compter d’un critère éminemment subjectif, à savoir la connaissance réelle ou supposée des actes de contrefaçons par le titulaire des droits.

Cependant, l’alignement de la prescription de l’action en contrefaçon sur la prescription de l’action civile n’a pas été complet. Ainsi, depuis l’entrée en vigueur de la loi, les actions en contrefaçon de brevet et de dessin et modèle continuent de se prescrire par « cinq ans à compter des faits qui en sont la cause » [2] tandis que les actions en contrefaçon de marque se prescrivent simplement « par cinq ans  » [3].

Les tribunaux en ont déduit que, en matière de marque, ce délai devait nécessairement courir « à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaitre les faits lui permettant de l’exercer [4] », conformément au droit commun.

Il était donc nécessaire de mettre fin à ces différences de régime et l’action en contrefaçon de ces droits devrait dorénavant se prescrire « par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer  ».

Le recours au critère de la connaissance de la contrefaçon pour déterminer le point de départ est donc définitivement consacré. La contrefaçon reste par ailleurs un délit continu, de sorte que tant que la contrefaçon subsiste, la prescription ne court pas.

Le nouveau texte apporte en outre un changement fondamental au régime de la réparation de l’action en contrefaçon.

Actuellement en effet, le titulaire d’un droit peut seulement demander la réparation des faits de contrefaçon qui lui ont permis d’exercer son action, soit les faits de contrefaçon qui ont porté la contrefaçon à sa connaissance, à savoir ceux qui se sont déroulés sur les cinq années précédant son action. Le titulaire du droit a donc tout intérêt à agir rapidement en contrefaçon pour en limiter les conséquences dommageables.

Le nouveau texte, en ce qu’il laisse au titulaire du droit cinq ans pour agir à compter de sa connaissance du « dernier fait  » de contrefaçon ne lui interdit pas, une fois son action introduite dans le délai de cinq ans qui suit sa connaissance de ce dernier fait, de réclamer au contrefacteur l’indemnisation de tous les actes de contrefaçon précédant ce dernier fait (que ce soit le premier, le huitième etc.) et non seulement les faits de contrefaçon lui permettant d’exercer l’action.

Il en résulte un droit à réparation sensiblement élargi, puisque la période de réparation ouverte au titulaire du droit sera seulement limitée, en application de l’article 2231 du code civil, par vingt ans à compter de la naissance de son droit. Le titulaire du droit pourra donc réclamer l’indemnisation des contrefaçons commises dans les vingt années précédant son action.

Il pourrait en résulter des conséquences excessives et incertaines pour les justiciables.

L’on peut cependant imaginer que la consécration de cette période « élargie » de réparation n’aura pas des conséquences excessives en pratique. En effet, le préjudice de la victime sera nécessairement évalué au regard de la période pendant laquelle la contrefaçon aura effectivement eu lieu et les conséquences dommageables des faits de contrefaçon pour le titulaire du droit. Or plus le titulaire du droit tarde à prendre connaissance de la contrefaçon, moins il est en mesure de faire valoir que ces actes lui ont porté préjudice.

2. Sur la prescription des actions en nullité.

Les actions en nullité se prescrivent conformément au droit commun par « cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer  ». [5]

On l’a dit, cette méthode de calcul ne permet pas de déterminer objectivement le point de départ de la prescription. Par ailleurs, elle enferme le droit à agir dans un délai très court.

Ainsi en droit des brevets et en droit des marques, il a pu être jugé que le délai de prescription courrait ou était éteint avant même la naissance de l’intérêt à agir du demandeur. [6]

Par ailleurs, à défaut de réaction des personnes intéressées, des titres continuent d’exister alors même qu’ils n’auraient pas dû être délivrés et que le passage du temps ne purgera pas les vices dont ils sont entachés. [7]

Il en résulte une atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie, puisque l’existence de ces titres viciés empêche l’arrivée de concurrents légitimes sur le marché. Or l’action en nullité devrait justement permettre de libérer le marché d’un droit exclusif infondé.

Certains opérateurs économiques restent défavorables à cette réforme en matière de marque notamment. La marque étant indéfiniment renouvelable, ces opérateurs craignent des actions en nullité intempestives de la part de concurrents ou de titulaires de droits antérieurs.

A cet égard, il convient de noter que le nouvel article prévoit, pour les marques, de limiter l’imprescriptibilité de l’action à celles fondées sur des motifs absolus. Une action en nullité fondée sur des motifs relatifs de refus resterait soumise au délai de cinq ans prévus à l’article 2224 du code civil.

En tout état de cause, les actions en nullité de marque fondées sur des motifs relatifs sont soumises à la forclusion par tolérance, de sorte que si la marque postérieure est déposée depuis plus de cinq ans et qu’il est prouvé que le titulaire de la marque antérieure avait connaissance de cette marque, l’action en nullité ne lui est plus ouverte.

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