Les mesures provisoires et de réparation de l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite d’un secret d’affaires

Type

Propriété intellectuelle / Nouvelles technologies / Communication

Date de publication

21 juin 2016

La Directive 2016/943 s’est largement inspirée sur ce point des procédures prévues dans le domaine de la protection des droits de propriété intellectuelle, notamment par la loi du 11 mars 2014 n°2014-315 renforçant la lutte contre la contrefaçon et transposant la Directive 2004/48 du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle.

Les Etats membres de l’Union Européenne devront prévoir les mesures, procédures et réparations nécessaires pour qu’un recours civil soit disponible contre l’obtention, l’utilisation ou la divulgation illicite de secrets d’affaires.

Le régime de sanctions prévu par la Directive ne porte que sur le volet civil de la protection du secret d’affaires.

1. Les mesures provisoires

Le titulaire d’un secret d’affaires soupçonnant une utilisation illicite de celui-ci par un tiers pourra solliciter des mesures provisoires, prévues aux articles 10 et 11 de la Directive.

La Directive ne prévoit pas de procédure « ex parte », mais il semble que le titulaire du secret d’affaires pourra utiliser la voie de la mesure in futurum classique prévue par l’article 145 du code de procédure civile. Il est toutefois prévu à l’article 10-1 c) la possibilité pour les Etats membres de prévoir, à titre provisoire et conservatoire, « la saisie ou la remise des biens soupçonnés d’être en infraction ».

Les autorités judiciaires pourront également prévoir à titre provisoire, la constitution de garanties par le tiers soupçonné d’utiliser illicitement un secret d’affaires, et destinées à assurer l’indemnisation du détenteur de secrets d’affaires.

2. Les mesures au fond

Les mesures que pourra obtenir le détenteur du secret d’affaires lorsqu’une décision judiciaire aura constaté l’obtention, la divulgation ou l’utilisation illicite d’un secret d’affaires, sont définies aux articles 12 à 15 de la Directive.

Il est prévu que l’autorité judiciaire pourra ordonner la cessation du trouble, l’interdiction d’offrir à la vente les produits en infraction, la destruction des biens illicites, mais également « l’adoption de mesures correctives appropriées » qu’il reviendra aux textes de transposition ou à la jurisprudence de définir.

La Directive prévoit également l’application de mesures correctives telles que le rappel des biens en infraction se trouvant sur le marché ; la suppression du caractère infractionnel du bien en infraction ; ainsi que « leur retrait du marché, à condition que ce retrait ne nuise pas à la protection du secret d’affaires en question ». Là encore, la transposition de la Directive devra clarifier l’application de cette mesure.

La Directive prévoit en outre à l’article 13 une série de critères qui devront être pris en compte par l’autorité judiciaire pour évaluer la mesure la plus appropriée à ordonner :

  • La valeur ou d’autres caractéristiques du secret d’affaires ;
  • Les mesures prises par l’entreprise pour protéger le secret d’affaires ;
  • Le comportement du contrevenant lors de l’obtention, de l’utilisation ou de la divulgation du secret d’affaires ;
  • L’incidence de l’utilisation ou de la divulgation illicite du secret d’affaires ;
  • Les intérêts légitimes des parties et l’incidence que l’octroi ou le refus de ces mesures pourrait avoir sur les parties ;
  • Les intérêts légitimes des tiers ;
  • L’intérêt public ;
  • La sauvegarde des droits fondamentaux.

Ces critères s’ajoutent aux principes généraux applicables en droit civil, à savoir que les mesures doivent être justes, équitables, effectives et dissuasives (article 6) ainsi que proportionnés (article 7).

Enfin le délai de prescription pour les recours formés en cas de divulgation illicite d’un secret d’affaires ne dépassera pas six ans (article 8). Cependant, la Directive ne précise pas le point de départ de ce délai de prescription. Les Etats membres devront préciser ce point lors de la transposition de la Directive. En outre, on peut penser que la prescription en France s’alignera sur la prescription quinquennale qui existe aujourd’hui en matière de propriété intellectuelle.

3. Les dommages-intérêts

Les détenteurs de secrets d’affaires pourront également demander réparation en cas de dommages subis à la suite de l’appropriation illicite de tout document, objet, matériau, substance ou fichier électronique contenant le secret d’affaires, ou dont le secret d’affaires peut être déduit (article 14).

Le principe de l’harmonisation minimale laisse aux Etats membres la possibilité de mettre en place ou non un arsenal complémentaire au niveau national (considérant 10 du Préambule). La France pourra ainsi éventuellement choisir de compléter son dispositif législatif par des dispositions pénales.

L’article 14 de la Directive met en place deux modes de calcul largement calqués sur le domaine de la propriété intellectuelle (article 13 de la Directive 2004/48 du 29 avril 2004 et loi 2014-315 du 11 mars 2014) :

  • L’indemnisation doit prendre en considération le manque à gagner ainsi que les bénéfices injustement réalisés par le contrevenant, voire même le préjudice moral ;
  • Un montant forfaitaire de dommages-intérêts peut également être fixé et calculé sur la base de redevances qui auraient été dues si une licence avait été conclue entre le contrevenant et le titulaire du secret d’affaires.

Rien n’est indiqué sur le caractère éventuellement « punitif » des dommages-intérêts, exclu par la Directive sur le respect des droits de propriété intellectuelle.

La Directive indique clairement qu’elle n’a pas vocation à réformer ou harmoniser le droit relatif à la concurrence déloyale, et rappelle néanmoins que les conditions d’application du texte entretiennent un lien de filiation direct avec cette action. En revanche, elle n’aborde pas les liens entre le secret des affaires et la propriété intellectuelle, ni les éventuels conflits de normes que son adoption pourrait provoquer.

Enfin, il est à noter que les demandes ayant pour objet d’obtenir réparation devraient être rejetées si un secret d’affaires a été obtenu, utilisé ou dévoilé dans les circonstances suivantes (considérants 19 et 20) :

  • Pour exercer le droit à la liberté d’expression et d’information – qui englobe la liberté et le pluralisme des médias – établi dans la Charte des droits fondamentaux ;
  • Pour révéler une faute professionnelle ou une autre faute ou une activité illégale, à condition que le défendeur ait agi dans le but de protéger l’intérêt public général ;
  • La divulgation par des travailleurs à leurs représentants dans le cadre de l’exercice légitime par ces représentants de leur fonction conformément au droit de l’Union ou au droit national, pour autant que cette divulgation ait été nécessaire à cet exercice ;
  • Pour protéger un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union ou le droit national.

***

Le droit français actuel permettait déjà de protéger les valeurs commerciales confidentielles de nos entreprises par le biais d’une part, d’actions civiles fondées sur la responsabilité contractuelle ou la responsabilité délictuelle avec l’action en concurrence déloyale et parasitaire notamment, et d’autre part, d’actions pénales, en particulier avec les actions fondées sur le vol, la violation du secret professionnel ou encore la divulgation illicite de secrets de fabrique.

Des moyens de preuve efficaces sont prévus par les textes et, notamment dans le domaine de la propriété intellectuelle, les juges mettent en œuvre aux différents stades des procédures des mesures efficaces pour protéger les secrets d’affaires.

Il faudra voir si le but premier de cette Directive qui est un but d’harmonisation sera atteint.

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