Pratiques restrictives de concurrence et compétence : la Cour de Cassation assouplit sa jurisprudence

Type

Droits des contrats - distribution - concurrence - consommation

Date de publication

10 juillet 2017

Dans une série de 3 arrêts du 29 mars 2017, la Cour de Cassation a amorcé un revirement de jurisprudence concernant la compétence des cours d’appel autres que la Cour d’appel de Paris pour connaître de l’appel des décisions rendues en première instance par des juridictions non spécialisées. Un arrêt du 26 avril 2017 vient compléter cette jurisprudence en apportant des précisions, notamment en présence d’un contredit de compétence.

Dans un souci de sécurité juridique et d’harmonisation de la jurisprudence en matière pratiques restrictives de concurrence, le législateur a souhaité réserver le contentieux de l’article L. 442-6 du Code de Commerce à un nombre limité de juridiction en première instance (au nombre de 8 : Marseille, Bordeaux, Tourcoing, Fort de France, Lyon, Nancy, Paris, Rennes) et à une seule cour d’appel (la Cour d’appel de Paris). Cette règle, créée par la loi n°2008-776 du 4 août 2008 et le décret n° 2009-1384 du 11 novembre 2009, est codifiée aux articles L. 442-6 III et D. 442-3 du Code de Commerce.

Ces dispositions s’accompagnaient d’une jurisprudence assez intransigeante à l’encontre des requérants qui saisissaient par erreur une juridiction non-spécialisée. La sanction était particulièrement sévère au niveau de l’appel. En effet, un appel d’une décision d’un tribunal de première instance non spécialisé, interjeté devant la cour d’appel territorialement compétente, mais non désignées par l’article D. 442-3 du Code de Commerce, était sanctionné par une fin de non-recevoir (Com 24 septembre 2013, n°12-21.089, Bull. IV, n°138) relevée d’office par le juge (Com. 31 mars 2015, n 14-10.016, Bull IV, n 59).

La solution était critiquée sur deux points. Tout d’abord, certains considéraient que la question relevait plus des exceptions de procédure que des fins de non-recevoir. Or, dans le cadre d’une exception d’incompétence, le juge ne peut soulever d’office l’incompétence que dans un nombre limité de cas (violation d’une règle de compétence d’attribution d’ordre public et lorsque le défenseur qui ne comparaît pas ; article 92 du Code de Procédure Civile). Les fins de non-recevoir peuvent être soulevées d’office plus largement (article 125 du Code de Procédure Civile).

Ensuite, la sanction de la fin de non-recevoir avait pour effet de rendre inattaquable des décisions de première instance rendues par des juridictions non spécialisées. Ceci entrait en contradiction avec l’objectif de sécurité juridique et d’harmonisation de la jurisprudence en matière de pratiques restrictives de concurrence voulu par le législateur.

Par trois arrêts du 29 mars 2017 (Com 29 mars 2017, n°15-17.659 FS-P+B+R+I, n°15-24.241 ; FS-P+B+I et n°15-27.811, FS-P+B+I), la Cour de Cassation a amorcé un assouplissement de sa jurisprudence. La Cour déclare que « seuls les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions du premier degré spécialement désignées sont portés devant la cour d’appel de Paris de sorte qu’il appartient aux autres cours d’appel, conformément à l’article R. 311-3 du code de l’organisation judiciaire, de connaître de tous les recours formés contre les décisions rendues par les juridictions situées dans leur ressort qui ne sont pas désignées [par l’article D.442-3 du Code de Commerce] ».

Ainsi, si l’appel est interjeté contre une décision rendue par un des tribunaux désignés par l’article D.442-3 du Code Commerce, la cour d’appel de Paris est seule compétente et tout recours formé devant une autre cour d’appel doit être déclaré irrecevable d’office. En revanche, lorsqu’un appel est interjeté contre une décision d’une juridiction qui n’est pas désignée dans cet article, l’appel peut être formé contre la cour d’appel du ressort de la juridiction ayant rendu la décision. Elle devra donc connaître « tous les recours formés » contre la décision de première instance. Mais elle devra également relever d’office l’excès de pouvoir « commis par ces juridictions en statuant sur des demandes qui, en ce qu’elles ne relevaient pas de leur pouvoir juridictionnel, étaient irrecevables ».

La formulation de la Cour de cassation, visant tous les recours, étaient assez accueillante pour étendre cette solution aux incidents de compétence soulevés devant la cour d’appel du ressort. C’est désormais chose faite depuis un arrêt du 26 avril 2017 (Com 26 avril 2017, F-P+B+I, n°15-26.780).

Le tribunal de commerce de Pontoise s’était déclaré incompétent pour traiter d’une demande fondée sur l’article L. 442-6, 5° du Code de Commerce. Un contredit de compétence avait été formé devant la cour d’appel du ressort, la cour d’appel de Versailles. Celle-ci avait jugé le contredit irrecevable en application de l’article D.442-3 du même code.

La Cour de cassation casse cet arrêt. Elle estime dans la continuité de ses arrêts du 29 mars dernier que le pouvoir exclusif de la cour d’appel de Paris est limité aux seuls recours formés devant les juridictions spécialement désignées par décret de sorte que le contredit formé devant la cour d’appel de Versailles devait être déclaré recevable. Dès lors, la cour d’appel devait « constater le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Pontoise pour statuer sur les demandes fondées sur l’article L. 442-6 du code de commerce ».

Il est à noter que le décret du 6 mai 2017 relatif à la procédure civile met fin au régime dérogatoire du contredit à compter du 1er septembre prochain, les décisions tranchant des exceptions d’incompétence relevant désormais de l’appel. Mais la décision du 26 avril 2017 semble bien évidemment transposable à un appel interjeté sur la compétence.

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