Arrêt « endives » de la CJUE : une clarification des frontières entre droit de la concurrence et politique agricole commune ?

Type

Droits des contrats - distribution - concurrence - consommation

Date de publication

7 décembre 2017

La CJUE vient de rendre son arrêt très attendu dans l’affaire dite des « endives » (CJUE 14 nov. 2017, aff. C-671/15) concernant des pratiques d’entente et de concertation impliquant des organisations de producteurs (OP) et d’associations d’organisations de producteurs (AOP).

La découverte en 2007 d’une entente au sein d’organisations professionnels (OP) de producteurs d’endives est à l’origine de cet arrêt. Le ministre de l’économie de l’époque avait saisi l’Autorité de la concurrence afin de sanctionner plusieurs pratiques d’OP d’endives en France. Il avait été constaté que les producteurs s’échangeaient des informations stratégiques, fixaient des prix minima de revente et se concertaient sur les quantités mises sur le marché.

L’Autorité de la Concurrence avait sanctionné cette entente sur le fondement de l’article L 420-1 du Code de commerce et de l’article 101 § 1 du traité de fonctionnement de l’Union Européenne (ADLC, 6 mars 2012, n°12-D-08). La Cour d’appel de Paris (CA Paris, 15 mai 2014, n° 12/06498) avait pour sa part considéré que sur le fondement des règlements communautaires n°1184/2006 et n°1234/2007, relatifs à la politique agricole commune, alors applicables, les pratiques en cause étaient hors champ de l’article 101 TFUE.

La Cour de cassation a saisi la CJUE d’une question préjudicielle qui a donné lieu à l’arrêt du 14 novembre 2017.

La CJUE rappelle d’abord qu’au titre de la PAC, prévue aux article 39 à 44 du TFUE, les dispositions relatives aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce de produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Parlement Européen et la Commission (article 42 TFUE). Il est donc prévu une primauté de la PAC sur le droit de la concurrence dans les mesures nécessaires à la réalisation des objectifs de la PAC.

Ainsi, au titre des règlements précités, les OP et AOP sont
chargés d’assurer la programmation de la production, son adaptation à la demande, notamment en quantité et qualité, de concentrer l’offre et de mettre sur le marché la production de ses membres. Il est encore prévu que les OP doivent optimiser les coûts et réguler les prix pratiquer par leurs membres.

Pour autant, le secteur agricole ne doit pas être un espace sans concurrence (CJUE 9 septembre 2003, C-137/00). En application du principe de proportionnalité, les règles de concurrence ne peuvent être éludées que dans la mesure de ce qui est strictement nécessaire pour atteindre les objectifs de la PAC.

Or, les pratiques visées par les poursuites de l’Autorité de la Concurrence pouvaient être justifiées par l’atteinte de certains de ces objectifs, notamment l’adaptation de l’offre à la demande. Ces objectifs ne justifiaient l’échange d’informations stratégiques entre membres d’une même OP ou AOP que dans la mesure à ce qui est nécessaire aux objectifs fixés aux AOP et OP.

L’objectif de concentration de l’offre et de régularisation des prix vise notamment à assurer un niveau de vie équitable à la population agricole et à bénéficier d’une meilleure force de négociation des producteurs face à la demande.

Cependant, la CJUE relève d’abord que ces pratiques ne peuvent pas s’étendre entre OP ou AOP différentes. Ces seulement au sein d’une OP, dans les relations entre celle-ci et ses membres, que les pratiques visées peuvent être admises.

Ensuite, la fixation collective de prix minima de revente semble être exclues dans tous les cas, même au sein d’une OP ou d’une AOP, car cette pratique ne peut être considérée comme étant proportionnée à l’objectif de régularisation des prix ou de concentration de l’offre.

De plus, cette dérogation aux règles de la concurrence ne peut jouer que pour les OP ou AOP, ou encore les organisations interprofessionnelles. Les regroupements de professionnels qui ne sont pas reconnus par un État membre comme tels aux fins d’application de la PAC et qui ont commis les pratiques en cause seront donc nécessairement sanctionnés au titre de la prohibition des ententes.

Ainsi, la CJUE admet une dérogation aux règles de concurrence strictement limitée et proportionnée aux objectifs poursuivies par la PAC. Les OP et AOP ne sont donc pas hors champ du droit de la concurrence. Cependant, les objectifs qui leur sont assignés dans le cadre de la PAC justifient certaines de leurs pratiques qui, en dehors de la PAC, seraient sanctionnées au titre des ententes.

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